Élection américaine: l'engagement de Kamala Harris sur le droit à l'IVG peut-il faire basculer le vote?

En pleine campagne présidentielle, la candidate démocrate Kamala Harris répète sa volonté de défendre le droit à l'avortement si elle devient présidente. Si le colistier de Donald Trump l'a violemment attaquée sur le sujet, l'homme d'affaires se montre plus discret concernant sa position sur l'IVG.

Un sujet prégnant. À tout juste un mois de l'élection présidentielle américaine, prévue le 5 novembre, l'accès à l'avortement continue de s'imposer comme une thématique récurrente dans la campagne électorale.

L'épouse du candidat républicain, Melania Trump, pourtant très peu présente dans la campagne, a pris position sur le sujet, en appelant à "garantir aux femmes l'autonomie de décider", dans son mémoire à paraître le 8 octobre. Elle se démarque de son mari Donald Trump qui estime pour sa part que chaque État américain doit pouvoir légiférer comme il le souhaite sur l'IVG, après avoir plusieurs fois changé de position sur le sujet au cours de sa carrière politique.

De son côté, Kamala Harris a décidé de faire de la question de l'avortement un sujet central, en se posant régulièrement comme garante de l'accès à ce droit. Alors qu'au moins 20 États américains ont légiféré depuis deux ans pour restreindre l'accès à l'IVG, la démocrate espère mobiliser l'électorat démocrate sur cette question.

"Plus d'une femme sur trois vit dans un État soumis à une restriction de l'accès à l'avortement. (...) C'est immoral", dénonçait encore Kamala Harris ce mercredi 2 octobre sur son compte X. L'ex-procureure a promis dans le même temps qu'elle "votera fièrement" la loi garantissant le droit à l'IVG "quand elle passera au Congrès".

Cette prise de parole n'est que l'une des nombreuses sorties de la démocrate dans laquelle elle défend férocement le droit à l'IVG pour les femmes américaines. Une prise de position régulièrement affirmée et qui survient dans un contexte particulier pour le pays.

Depuis deux ans, la question de l'avortement est en effet revenue sur le devant de la scène avec l'annulation en juin 2022 de l'arrêt Roe vs Wade qui garantissait le droit à l'IVG au plan fédéral. Depuis, chaque État est libre de l'interdire, ce qui a donné lieu à de nombreuses manifestations pro ou anti-avortement dans le pays.

Par la suite, une vingtaine d'États ont décidé durant ces deux dernières années d'interdire ou de restreindre fortement l'accès à l'interruption volontaire de grossesse en le limitant par exemple aux cas de viols ou en l'interdisant au-delà de 6 semaines, alors que peu de femmes savent déjà qu'elles sont enceintes en général à ce stade.

Pour la professeure à Sciences Po Lyon, spécialiste en politique américaine, Aurore Portet, l'annulation de l'arrêt Roe vs Wade "a fait beaucoup bouger les lignes sur le sujet, c'est donc normal que l'avortement soit un sujet central dans la campagne."

"Si on est candidat démocrate de toute façon, on est un peu obligé d'être pro-avortement", dit-elle à BFMTV.com.

D'autant que Kamala Harris est en plus engagée de longue date sur ce sujet. Comme membre du parquet général de Californie, elle a notamment combattu les pratiques trompeuses des militants anti-avortement. Puis, en tant que sénatrice, elle s'est montrée très critique du juge Brett Kavanaugh, lors de son audition de confirmation avant sa nomination à la Cour Suprême. Plus récemment, la vice-présidente s'est rendue en mars dernier dans une clinique pratiquant les avortements. Une première à haute valeur symbolique.

La stratégie de campagne démocrate contraste avec celle menée côté républicain. Si le Grand Old Party est traditionnellement opposé à l'IVG, Donald Trump a montré des positions plus ambiguës sur la question au cours des derniers mois.

Fin juillet, Donald Trump a attaqué violemment Kamala Harris, son adversaire, sur le sujet, l'accusant de façon mensongère de vouloir "l'exécution de bébés" avec son programme et de promouvoir "des avortements au huitième et au neuvième mois de la grossesse, jusqu'à la naissance et même après la naissance". À plusieurs reprises, l'ancien président s'est également vanté d'avoir permis l'annulation de l'arrêt Roe vs Wade en nommant trois juges conservateurs à la Cour suprême.

Mardi 1er octobre, le colistier de Donald Trump, J.D. Vance, lors du débat qui l'oppose au colistier de Kamala Harris, accusait également les démocrates de tenir des positions "pro-avortement radicales".

Pour autant, Donald Trump a beaucoup évolué sur l'IVG puisqu'il se disait favorable au droit à l'avortement il y a une dizaine d'années, avant de changer de position. "Il s'est ultra radicalisé depuis quelques années pour devenir l'incarnation de la droite la plus réactionnaire", juge le directeur de l'Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) Romuald Sciora à BFMTV.com.

Malgré les propos virulents tenus face à Kamala Harris en juillet, Donald Trump adopte une position plus tempérée sur l'avortement dans ses dernières déclarations, en se disant favorable à ce que chaque État soit libre de légiférer comme il l'entend sur le sujet. Il assure même en août sur son réseau Truth Social que "(son) administration sera formidable pour les femmes et leurs droits reproductifs" en cas de victoire en novembre.

Pour Aurore Portet, les évolutions de position de Donald Trump signent d'abord l'absence de convictions de l'homme d'affaires sur le sujet. "On ne peut pas faire plus opportuniste (que lui)", résume-t-elle.

Une stratégie gagnante pour Kamala Harris? Selon un sondage mené par le Siena College pour le New York Times, paru le 19 septembre, 54% des électeurs disent faire plus confiance à la démocrate sur la question de l'avortement, quand 41% disent plutôt se fier à Donald Trump sur le sujet.

Pour autant, l'enseignante à Sciences Po Lyon Aurore Portet rappelle que d'autres thématiques préoccupent davantage les Américains. De fait, dans le dernier sondage mené par le Pew Reseach Center, paru le 9 septembre, les personnes interrogées déclarent que l'économie est leur première préoccupation (à 93% pour les électeurs de Trump et à 68% pour ceux de Harris). L'avortement n'arrive qu'en 8e position, après notamment la santé, la politique étrangère ou encore les armes à feu.

Pour Aurore Portet, la stratégie de la candidate démocrate ne devrait donc lui permettre que d'"attirer des électeurs parmi les marges et les indépendants" et ne va probablement pas faire "basculer des électeurs". De façon plus large, l'objectif pour le parti démocrate est surtout de mobiliser sa base électorale, selon la professeure.

"(Kamala Harris) joue sur le sociétal pour donner une dynamique à l'aile gauche de l'électorat du parti démocrate qui pourrait être tentée par le Green Party ou par l'abstention", abonde Romuald Sciora.

Une faible marge de manœuvre pour le président

Les prises de positions de Kamala Harris sur l'IVG ont une portée qui est par ailleurs avant tout symbolique, pour Romuald Sciora. "Quel que soit le point de vue du candidat à la présidentielle, il ne pourra pas agir sur la question au niveau fédéral", explique-t-il.

"La Cour suprême a légiféré et elle seule peut revenir sur cette décision", rappelle-t-il.

La démocrate peut en revanche jouer un rôle indirect sur le droit à l'avortement. "(Kamala Harris) peut quand même avoir une influence au niveau local, car le scrutin (de novembre) est aussi un scrutin législatif. En soutenant des candidats démocrates au niveau local, elle peut infléchir la politique de certains États" maintenant qu'ils sont libres de légiférer sur l'avortement, note ainsi le directeur à l'IRIS.

Par ailleurs, dix États organisent des élections sur la question de l'accès à l'IVG en même temps que l'élection présidentielle le 5 novembre prochain, des scrutins sur lesquels la démocrate espère là aussi peser, en plus de l'élection au Congrès.

Article original publié sur BFMTV.com