Élection américaine: le fait que Kamala Harris soit la première femme noire candidate peut-il jouer sur le vote?
Une adversaire pas comme les hommes. Depuis que Kamala Harris a remplacé Joe Biden à la candidature démocrate pour la présidentielle américaine de novembre, la campagne a tourné, à plusieurs reprises, autour de son genre et de ses origines. Mais si cela est le cas, ce n'est pas du fait de la candidate.
Donald Trump, qui fait campagne pour le Parti républicain, n'épargne pas sa rivale de ses habituelles critiques virulentes. Mais ces dernières ont une tonalité particulière depuis quelques semaines. Il traite la vice-présidente américaine de "folle", d'"incompétente", d'"idiote", se moque de son rire... L'ex-président a aussi suggéré que la candidate ne pourrait pas tenir tête à d'autres dirigeants mondiaux, dans une interviewée donnée à Fox News et diffusée fin juillet.
"Ils vont lui marcher dessus", a-t-il ainsi assuré.
Kamala Harris traitée de "femme à chats"
D'autres figures des républicains ont aussi suggéré que Kamala Harris était une candidate de "quotas", choisie pour le fait d'être une femme noire et originaire d'Asie du Sud et non pour ses compétences. Des propos sexistes tenus par le colistier de Donald Trump ont également refait surface sur les réseaux sociaux ces dernières semaines. Dans une vidéo datant de 2021 J.D. Vance accuse les démocrates au pouvoir -et cite notamment Kamala Harris- d'être une bande de "femmes à chats sans enfants malheureuses" qui "veulent donc rendre le reste du pays malheureux lui aussi".
Il estime, dans cette interview à Fox News, que ces personnes n'ont pas d'"intérêt direct" au bien du pays, puisque dépourvues de progéniture. En anglais, J.D. Vance, marié et père de trois enfants, utilise l'expression populaire aux États-Unis de "cat lady", un cliché sexiste dépeignant des femmes faisant le choix de vivre sans partenaire ni enfant, entourées seulement de chats.
Plusieurs médias et spécialistes américains ont pointé les biais sexistes et racistes qui reposent derrière ces attaques. Nadia Brown, directrice du programme d'études sur les femmes et le genre à l'université de Georgetown, à Washington, a par exemple souligné auprès de France 24 que faire sans cesse référence au rire de Kamala Harris revenait à porter une attention particulière à la manière dont elle exprime ses émotions, un jugement surtout porté aux femmes racisées.
"Cela a des connotations raciales et sexistes distinctes, fondées sur des stéréotypes qui dénigrent les femmes et les noirs", explique-t-elle.
Selon l'agence Associated Press, un élu républicain à la Chambre des représentants, Richard Hudson, a même appelé son parti à s'en tenir aux arguments reposant sur son bilan au sein de l'administration Biden et d'éviter d'aller sur le terrain de son identité.
"Cette élection portera sur les politiques et non sur les personnalités", a déclaré Mike Johnson, le président de la Chambre des représentants, à des journalistes à l'issue de la réunion. "Il n'y a rien de personnel en ce qui concerne Kamala Harris", a-t-il ajouté, "et son appartenance ethnique ou son sexe n'ont rien à voir avec tout cela".
Être une femme, un "point faible" pour la présidentielle?
Pour Anne Crémieux, professeure de civilisation américaine à l'université Paul Valéry de Montpellier, "c'est le principe des stratégies de Donald Trump, il se moque de ce qu'il considère être un point faible de son adversaire". Comme lorsqu'il traite Joe Biden d'"endormi", alors que les inquiétudes sur les capacités physiques et mentales du président de 81 ans l'ont poussé en juillet à se retirer de la course pour la Maison Blanche.
"Il s'agit d'une technique bien rodée" pour Donald Trump, a aussi estimé auprès du média NBC la stratège démocrate Karen Finney, qui a été porte-parole de la campagne d'Hillary Clinton en 2016. "Mais la réalité est que nous savons aussi que les gens n'utiliseraient pas cette technique si elle ne fonctionnait pas dans une certaine mesure", a-t-elle ajouté.
Si de plus en plus d'Américains parviennent à envisager d'élire une femme à la présidence, une petite partie d'entre eux restent fermés à cette idée. Un sondage Ipsos mené en 2019 parmi des électeurs démocrates et indépendants montrait ainsi que 12% des interrogés se disaient mal à l'aise avec l'idée d'une femme présidente et 14% étaient d'accord avec la notion que les femmes sont moins "efficaces" que les hommes en politique.
Selon un autre sondage de janvier 2024, mené par l'institut Gallup, 5% des Américains ne voteraient pas pour une femme investie par leur parti de référence, même si elle était qualifiée pour cette candidature. Des chiffres qui peuvent sembler faibles, mais "pour des élections qui sont gagnées à très peu, c'est important", souligne Anne Crémieux auprès de BFMTV.com.
"Les femmes ne votent pas pour les femmes"
Être une femme pourrait donc pénaliser Kamala Harris. Cela ne lui garantit pas non plus d'obtenir le vote des femmes, selon la chercheuse. Si les femmes ont plus voté pour Hillary Clinton en 2016 que pour Donald Trump, c'est aussi parce qu'elles votent généralement plus pour le candidat démocrate que le candidat républicain. "Ce qu'a montré la première élection de Trump, c'est que les femmes ne votent pas pour les femmes. Les femmes blanches ont élu Trump comme les hommes blancs", développe Anne Crémieux.
En revanche, être la première femme noire et originaire d'Asie du Sud à viser la présidence pourrait jouer en sa faveur. "Avoir un candidat noir fait que beaucoup de non-blancs aux États-Unis vont voter, on l'a vu pour Obama", souligne la professeure de civilisation américaine. En 2008, le taux de participation des électeurs a augmenté de 4,9 points de pourcentage, passant de 60,3 % en 2004 à 65,2 %, selon le Pew Research Center. Et ils ont presque tous (95%) voté pour Barack Obama, d'après le centre de recherches américain.
Un enjeu que Donald Trump semble avoir bien saisi. Fin juillet, il a accusé Kamala Harris d'être "devenue noire" pour des raisons électoralistes. "Elle était indienne à fond et, tout d'un coup, elle a changé et elle est devenue une personne noire", a-t-il assuré lors d'un échange avec des journalistes afro-américaines à Chicago. Kamala Harris a pourtant mis en avant son métissage bien avant de candidater à la présidence américaine.
"Si l'équipe de campagne de Harris arrive à rallier les électeurs noirs, les femmes des banlieues aisées et les jeunes électeurs de moins de 35 ans", l'élection "risque d'être serrée", a résumé auprès de l'AFP Wendy Schiller, politologue à l'université Brown.
L'avortement comme thématique de campagne
Pour ce faire, la vice-présidente, désormais épaulée par son colistier Tim Walz, met particulièrement en avant un sujet depuis le début de la campagne: celui de l'avortement. Lors de son premier meeting à Milwaukee, dans le Wisconsin, elle a promis d'empêcher "les interdictions extrêmes de Donald Trump en matière d'avortement, parce que nous faisons confiance aux femmes pour prendre des décisions concernant leur propre corps et ne pas laisser leur gouvernement leur dire ce qu'ils doivent faire".
La Cour Suprême, à majorité conservatrice grâce à Donald Trump, a mis fin à la protection du droit à l'avortement au niveau fédéral en juin 2022. Par cette décision de juin 2022, la plus haute juridiction américaine a redonné aux États toute latitude pour légiférer dans ce domaine.
Depuis, une vingtaine d'États ont interdit l'IVG, qu'elle soit réalisée par voie médicamenteuse ou chirurgicale, ou l'ont strictement encadrée. Faire campagne pour la protection du droit à l'avortement "peut ramener beaucoup d'électeurs entre 30 et 60 ans qui n'en reviennent pas" des restrictions adoptées ces dernières années, estime Anne Crémieux. Selon un sondage de l'institut Gallup mené en mai, 35% des Américains sont favorables à l'avortement en toutes circonstances, 50% dans certaines circonstances et 12% pensent qu'il devrait être illégal en toutes circonstances.
Une "période de grâce" pour Harris
De son côté, le Parti républicain a adopté un programme s'opposant à "l'avortement tardif", affirmant que les États doivent être "libres" de légiférer sur l'IVG. Une position assouplie par rapport à 2020 et 2016, lorsque les républicains souhaitaient interdire l'IVG dans tout le pays au-delà de 20 semaines. Mais Donald Trump a choisi comme potentiel vice-président J.D. Vance, qui disait sur son site vouloir "mettre fin à l'avortement". Ce site a disparu en juillet et son adresse renvoie désormais à celui de Donald Trump.
"Avoir M. Vance à ses côtés va compliquer les choses pour Donald Trump s'il souhaite se présenter comme modéré sur le sujet" de l'avortement, a souligné auprès de l'AFP Marc Trussler, chercheur en sciences politiques à l'Université de Pennsylvanie.
Mais il a aussi souligné qu'il était encore trop tôt pour savoir si la thématique allait peser en faveur de Kamala Harris: "Nous sommes dans la période de grâce de la candidature" de la vice-présidente.