Élection américaine 2024: comment Kamala Harris tente de séduire les conservateurs indécis

"Quel que soit votre parti, quel que soit pour qui vous avez voté la dernière fois, il y a une place pour vous dans cette campagne". Dans cette course serrée pour la Maison Blanche, Kamala Harris ne peut pas se contenter des voix des démocrates acquis à sa cause. Depuis le début de sa campagne éclair, après le retrait soudain de Joe Biden en juillet, elle cible un autre électorat: les électeurs indépendants, majoritaires aux États-Unis aujourd'hui, mais aussi les républicains rebutés par la candidature de Donald Trump.

Premier objectif de la démocrate? "Casser l'image de la candidate d'extrême gauche", selon Olivier Richomme, professeur de civilisation américaine à l’université Lumière Lyon-2, interrogé par BFMTV.com. Une image que lui accole Donald Trump mais aussi sur laquelle elle jouait lors des primaires démocrates de 2020 pour lesquelles elle s'était portée candidate.

Pour Marie-Christine Bonzom, politologue, journaliste et spécialiste des États-Unis, Kamala Harris "est plus à gauche que ne l'est le pays" mais "elle fait tout pour ne pas apparaître comme telle". Elle a "largement recentré son image", selon Olivier Richomme.

Des soutiens républicains comme étendard

Pour séduire chez les conservateurs indécis, Kamala Harris surfe sur le soutien de figures républicaines. Quelques jours après son entrée en lice, début août, la campagne "Les républicains pour Harris" a été lancée ralliant à sa cause des anciens de l'administration Trump comme Stephanie Grisham, ancienne attachée de presse de la Maison Blanche, ou Olivia Troye, conseillère à la sécurité nationale de Mike Pence. Tout comme le vice-président de George W. Bush, Dick Cheney, et sa fille, Liz Cheney, ancienne numéro trois du parti.

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Cette républicaine, qui a perdu son siège à la Chambre des représentants après avoir coprésidé une commission du Congrès enquêtant sur l'assaut du Capitole, a épaulé Kamala Harris dans sa campagne. Malgré leurs divergences, les deux femmes se sont affiché, main dans la main, dans plusieurs États clés comme la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin. La conviction étant que la meilleure façon d’inciter un républicain à voter pour Kamala Harris est d’entendre directement un autre républicain faire le même choix.

"L'extrémisme MAGA ("Make America Great Again", NDLR) de Donald Trump est toxique pour des millions de républicains qui ne croient plus que leur parti incarne leurs valeurs", estime Austin Weatherford, directeur de la campagne "Les républicains pour Harris", cité par CNBC.

Dans l'espoir de séduire des conservateurs indécis, Kamala Harris a également évoqué la création d'un conseil politique bipartisan à la Maison Blanche ou encore la nomination d'un républicain pour son cabinet.

Les partisans de Nikki Haley dans le viseur

La candidate démocrate a une cible privilégiée: les partisans de Nikki Haley, rivale républicaine de l'ex-président lors des primaires. "C'est un flanc vulnérable chez Donald Trump. Certains de ces républicains ont rechigné à voter pour lui durant les primaires, même après le retrait de Nikki Haley", affirme Marie-Christine Bonzom qui a couvert sept présidentielles américaines en tant que correspondante de la BBC à Washington.

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Appréciée des électeurs indépendants et des républicains modérés, l'ancienne ambassadrice des États-Unis à l'ONU n'avait pas ménagé ses coups contre l'ex-président américain. Mais cela ne l'a pas empêchée de se ranger derrière lui et de prononcer un discours remarqué lors de la convention républicaine de Milwaukee mi-juillet.

La politique étrangère étant l'axe d'attaque de Nikki Haley, Kamala Harris essaye de calquer son discours sur elle, accusant Donald Trump d'être faible et inapte à exercer ses fonctions en la matière, selon Usa Today.

"Elle se présente en tant que cheffe de l'armée qui a la tête sur les épaules. Trump donne l'impression qu'il n'y aurait plus personne pour le contenir. Ça fait peur à certains républicains", note Olivier Richomme.

La candidate démocrate relègue toutefois la politique étrangère au second plan de sa campagne, préférant gratter des voix en parlant des frontières et de l'immigration, cheval de bataille de Donald Trump et sujet central dans ce scrutin.

"Elle avait été chargée en tant que vice-présidente de Biden de s'occuper de la crise historique de l'immigration illégale mais elle n’a pas convaincu dans cette mission", remarque la politologue.

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Qui ajoute: "Depuis qu’elle brigue la présidence, elle a bougé vers la droite, elle se veut désormais dure en ce qui concerne la sécurité de la frontière sud". Jusqu'à reprendre dans une publicité de campagne, ce qui s'apparente au mur construit par Donald Trump entre les États-Unis et le Mexique, pourtant cible de ses critiques.

"Fixer la frontière est dur, tout comme l'est Kamala Harris", est-il affirmé.

Casser les stéréotypes avec les armes à feu

Cette image de "femme à poigne", la candidate démocrate l'adopte aussi pour séduire sur le terrain des armes à feu, selon Olivier Richomme, professeur de civilisation américaine. Elle a en effet affiché de manière ostentatoire sa possession d'un pistolet semi-automatique Glock.

Ce thème, chasse gardée du camp républicain, avait déjà été abordé mi-septembre, sur le plateau de la célèbre animatrice Oprah Winfrey.

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"Si quelqu'un force l'entrée de mon domicile, il se fera tirer dessus", avait lancé Kamala Harris.

Donald Trump accuse sa rivale de vouloir si elle est élue "confisquer les armes de tout le monde". Un droit protégé par le deuxième amendement de la Constitution que les démocrates veulent réguler.

"Nous ne confisquons les armes de personne, alors arrêtez de mentir continuellement sur ce sujet", avait-elle alors rétorqué.

L'environnement délaissé pour ne pas effrayer

Si la candidate démocrate s'épanche sur certains sujets dans l'espoir de séduire un électorat conservateur indécis, il y en a un qu'elle évite grandement: l'environnement.

Alors qu'elle pourrait vanter l'adoption de lInflation reduction Act sous Joe Biden grâce à son vote en tant que présidente du Sénat, elle préfère se faire discrète à ce sujet. Cette loi a notamment pour objectif de réduire les émissions de carbone d'environ 40 % d'ici à 2030,

"Kamala Harris redoute de faire fuir certains électeurs qui pourraient la considérer comme trop pro-environnementaliste", avance François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l'environnement, sur Franceinfo.

Sachant l'électorat, sensible à ce sujet, déjà acquis à sa cause, elle préfère ne pas perdre de voix du côté de ceux qu'elle doit convaincre. Elle ne veut notamment pas effrayer les électeurs indécis des États clés, comme la Pennsylvanie –l’un des plus gros exploitants de gaz de schiste du pays.

À tel point qu'elle est revenue sur un projet défendu en 2019, en tant que candidate à la primaire démocrate, sur le bannissement total du "fracking", une méthode polluante d'extraction de gaz et de pétrole par fracturation hydraulique.

"En tant que vice-présidente, je n’ai pas banni le fracking, en tant que présidente, je ne bannirai pas le fracking", a-t-elle déclaré à CNN.

"Dans ces États, la transition climatique est perçue comme une menace pour l'emploi", explique François Gemenne à Franceinfo.

Si sur son site de campagne, en bas de la liste des priorités, elle promet "d'accroître la résilience aux catastrophes climatiques", elle a vanté, au nom de l'indépendance nationale, que le pays ait "connu la plus forte augmentation de la production nationale de pétrole de l'histoire".

À noter que sa parcimonie sur la crise climatique est aussi due au désintérêt des Américains pour le sujet. Selon un sondage réalisé par l'institut Gallup et publié début octobre, le changement climatique est l'avant-dernière priorité des électeurs, alors que l'économie est la première.

"Un vote de rejet" plutôt qu'un "vote d'adhésion"

Cette stratégie de séduction, déjà employée par Joe Biden en 2020 et qui avait porté ses fruits en pleine pandémie de Covid-19, commence à déranger certains modérés qui se sentent délaissés, selon la radio américaine NPR. Et heurtés par la participation de Liz Cheney, fille de l'architecte de l'invasion de l'Irak alors que la colère grandit face à la guerre d'Israël à Gaza.

D'autres au sein du camp démocrate craignent que la carte "tout sauf Trump" ne suffise pas. "Depuis la mi-septembre, elle mène surtout une campagne anti-Trump, elle appelle à un vote de rejet plus qu'à un vote d'adhésion", analyse Marie-Christine Bonzom qui souligne que parmi les républicains qui ne veulent pas de Donald Trump, "beaucoup refusent de voter pour le parti démocrate et pour une Kamala Harris qu’ils jugent trop à gauche".

Surtout que, de son côté, l'ancien président adopte la même stratégie envers l'électorat démocrate et indépendant. S'il avait déjà réussi à largement gratter des voix du côté des ouvriers en 2016 et en 2022, il s'attaque désormais aux électeurs des communautés hispaniques et afro-américains. Le milliardaire républicain a de plus "une réserve de voix plus importante" que Kamala Harris chez les indépendants, fort de certains ralliements comme celui de Robert F. Kennedy Jr, selon la spécialiste de la politique américaine. Et c'est cet électorat qui va faire basculer l'élection dans les États clés.

Article original publié sur BFMTV.com