Élection américaine 2024: Kamala Harris ou Donald Trump, à qui le vote des minorités ira-t-il?
Plus que jamais, chaque voix compte. Alors que Kamala Harris et Donald Trump sont au coude-à-coude dans les sondages, les deux candidats s'attachent à convaincre les minorités en leur adressant des messages personnalisés, que ce soit lors d'événements de campagne ou via des publicités.
Afro-américains, hispaniques... Ces communautés peuvent jouer un rôle décisif le 5 novembre prochain, particulièrement dans les États-clés (swing states), à même de faire basculer l'élection selon qu'ils tombent dans le giron démocrate ou républicain.
· Les Afro-américains pas acquis d'avance pour Kamala Harris
C'est l'un des piliers de l'électorat démocrate. Les Afro-américains, représentant 13,7% de la population selon le Bureau de recensement américain, ont voté à plus de 90% d'entre eux pour Barack Obama, Hillary Clinton et Joe Biden lors des précédentes élections.
Mais pour Kamala Harris, ce vivier de voix ne paraît pas gagné d'avance. Seulement 78% des Afro-Américains prévoient de voter pour elle, selon une enquête d'opinion New York Times/Siena College publiée le 12 octobre. La démocrate éprouve des difficultés en particulier auprès des hommes noirs, seuls 69% d'entre eux affirmant vouloir voter pour elle selon cette même enquête.
Ce gender gap (fossé des genres) s'observe à l'échelle de toute la population, mais se voit d'autant plus dans un électorat qui vote habituellement en bloc pour le camp démocrate. Premier président noir américain, Barack Obama a mis en garde ses "frères" hésitant à rallier Kamala Harris. "Vous avancez toutes sortes de raisons et d'excuses. Cela me pose un problème. Cela me fait penser que vous n'aimez pas l'idée d'avoir une femme à la présidence", a-t-il lancé à Pittsburgh le 10 octobre.
Outre la question du genre, comment expliquer ce -relatif- désamour? "Malgré l'affichage de bons résultats économiques, l'administration Biden n'a pas su améliorer les conditions de vie des noirs américains dans les centres-villes", souligne Olivier Richomme, professeur de civilisation américaine à l’université Lyon 2-Lumière.
Le fait que Kamala Harris soit elle-même une femme noire n'a pas non plus eu l'effet aimant attendu. "Elle est la fille d'un père jamaïcain et d'une mère indienne. Son parcours de vie ne résonne pas forcément avec l'électorat afro-américain descendant d'esclave", avance Olivier Richomme. La démocrate est pourtant diplômée de l'université Howard, le "Harvard" des noirs américains, où elle s'est forgée un réseau dans les sororités afro-américaines.
Consciente de ces difficultés, Kamala Harris, qui a reçu le soutien de nombreuses stars noires comme Stevie Wonder ou Lizzo, a développé une série de propositions censées bénéficier directement aux hommes afro-américains. Ce programme vise à les aider à lancer leur petite entreprise ou un commerce, notamment grâce à des prêts avantageux, mais contient aussi des aides à la formation et à l'apprentissage, ainsi qu'un système d'accession favorisée aux métiers de l'éducation.
Le vote des Afro-Américains sera particulièrement crucial en Géorgie, où ils représentent près d'un tiers de la population. Cet État-clé avait été remporté par Joe Biden en 2020... avec 12.000 petites voix d'avance sur Donald Trump.
· Les Hispaniques et Latino-Américains tentés par Donald Trump
La catégorie des "Hispaniques et Latino-Américains" compose 19,5% de la population américaine, selon le Bureau du recensement et représente le deuxième groupe ethnique après les "Blancs".
"C'est un électorat plus nombreux, mais traditionnellement moins politisé que les Afro-Américains", dépeint Olivier Richomme. Toutefois, son poids politique augmente d'élection en élection. Cette année, 36 millions de Latinos sont inscrits sur les listes électorales, soit 4 millions de plus qu’en 2020 et plus du double qu’en 2000, selon le Pew Research Center. Le taux de participation au sein de la minorité tend également à augmenter et a dépassé pour la première fois en 2020 le seuil des 50% .
Si le camp démocrate a traditionnellement les faveurs de cet électorat, ce soutien semble s'effriter. Quand 71% des Latino-Américains ont voté pour Barack Obama en 2012, ils n'étaient plus que 59% à donner leurs voix à Joe Biden en 2020, toujours d'après le Pew Research Center. Une courbe que Kamala Harris, créditée de 57% d'intentions de vote dans l'électorat latino début septembre, peine pour l'instant à redresser.
Comme pour l'électorat Afro-Américain, l'absence d'amélioration de la situation économique des Latino-Américains peut expliquer la tentation de voter pour Donald Trump. 85% d'entre eux jugent que l'économie sera "très importante" dans leur choix de candidat et plus de la moitié (52%) ont "confiance" dans la politique économique de l'ancien président républicain.
Alors que l'immigration occupe une place centrale dans la campagne, l'hostilité envers les migrants affichée par Donald Trump peut paradoxalement séduire ces électeurs. "De nombreux Latinos veulent 'fermer la porter derrière eux' et limiter l'immigration. Ils ne sont pas non plus immunisés contre la xénophobie et la tentation de l'homme fort", souligne le spécialiste des États-Unis Olivier Richomme.
D'après un sondage New York Times/Siena College réalisé début octobre, la plupart des Latino-Américains ne se sentent d'ailleurs pas concernés quand Donald Trump accuse les migrants d'être des criminels et d'"empoisonner le sang" du pays.
Cependant, dans la dernière ligne droite de la campagne, un humoriste soutien de Donald Trump a tenu des propos racistes contre le territoire hispanophe de Porto Rico, qualifié d'"île flottante d'ordures". Une saillie dont s'est dissociée Donald Trump, mais qui pourrait avoir de lourdes conséquences, près de 4 millions d'Américains étant d'origine portoricaine.
Si les Latinos-Américains n'ont jamais joué de rôle pivot dans une élection, ils pourraient cette fois faire basculer le vote dans certains États clés où leur démographie explose, comme dans le Nevada ou en Arizona.
· Les Asiatiques, un électorat grandissant
Troisième minorité du pays, les Asiatiques américains voient, eux aussi, leur poids démographique et politique augmenter. D'origine principalement chinoise, philippine ou indienne, ils représentaient en 2023 6,4% de la population américaine, contre seulement 1,5% dans les années 80.
Selon le Pew Research Center, environ 15 millions d'Américains d'origine asiatique sont éligibles pour voter en 2024, un chiffre en augmentation de 15% par rapport aux élections de 2020 (+12% pour les Latinos et +7% pour les Afro-Américains).
Longtemps délaissé par les sondeurs, le comportement politique des Asiatiques américains est moins bien connu. En 2020, une majorité d'entre eux (entre 60 et 70% selon différents sondages de sorties des urnes) ont accordé leur voix à Joe Biden.
Fille d'une oncologue et chercheuse indienne, Kamala Harris peut espérer faire le plein de voix dans cette communauté. À en croire les récentes enquêtes, elle y bénéficie d'une dynamique favorable.
Selon une enquête de l'institut NORC de l'université de Chicago publié en septembre, 66% des Américains d'origine asiatique prévoient de voter pour Kamala Harris, alors que seuls 46% déclaraient vouloir glisser un bulletin Joe Biden en juillet selon le même institut. Le vote de la communauté asiatique pourrait peser lourd dans l'État clé du Nevada, où elle représente 11% des électeurs.
· Le poids des minorités confessionnelles
Les minorités religieuses font l'objet d'une attention particulière cette année aux États-Unis, sur fond de conflits au Moyen-Orient et de mouvements de protestation dans la rue et les campus américains.
Classés comme "blancs" dans le recensement fédéral, les Arabo-Américains représentent une petite minorité de trois millions de personnes. Celle-ci pourrait toutefois faire la différence dans le Michigan. Dans ce swing state remporté d'une courte tête par Joe Biden en 2020, Kamala Harris fait face à la méfiance d'une partie de l'électorat arabo-musulman, qui reproche à son administration son soutien armé à Israël.
Le mouvement pro-palestinien "Uncommitted" ("non-aligné"), qui avait déjà appellé à un vote protestaire contre Joe Biden lors des primaires démocrates, s'est ainsi positionné contre Donald Trump, mais sans soutenir explicitement Kamala Harris.
Plus importante démographiquement, la minorité juive -environ 7 millions d'Américain- penche historiquement du côté démocrate. Selon une étude du Pew Research Center publié le 9 septembre, 65% des Juifs disent vouloir voter pour Kamala Harris. Son rival républicain s'en est d'ailleurs agacé, allant jusqu'affirmer que les juifs devraient se faire "examiner la tête" s'ils votaient démocrate et "auraient beaucoup à voir avec" une éventuelle défaite républicaine. L'American Jewish Committee a dénoncé une rhétorique "dangereuse" et le Jewish Council for Public Affairs (JCPA) a reproché au candidat d'utiliser des "stéréotypes antisémites".
Enfin, les 50 millions d'Américains catholiques forment la première communauté confessionnelle du pays, soit 20% de la population. Selon le Pew Research Center, une petite majorité (52%) prévoit de voter pour Donald Trump, dont le colistier J.D. Vance est catholique. Kamala Harris, qui s'est opposée avec l'Église catholique sur le thème de l'avortement, semble porter moins d'importance à cet électorat. Contrairement à Donald Trump, elle ne s'est pas rendu au dîner de l'Alfred E. Smith Memorial Foundation, un événement caritatif catholique prisé des candidats à la Maison Blanche.