Économiste, diplomate engagée pour le climat, conseillère de Jospin... Qui est Laurence Tubiana?
Quelques heures après que son nom a émergé, le Nouveau Front populaire se déchire à nouveau. Si l'option de Laurence Tubiana pour le poste de Première ministre semble faire l'unanimité chez les socialistes, les écologistes et les communistes, Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, juge cette idée "pas sérieuse" ce mardi 16 juillet.
"Si c'est effectivement ce profil sur lequel travaillent nos partenaires, je tombe de ma chaise", a-t-il affirmé sur France 2.
"Architecte" de l'Accord de Paris
Économiste de formation, diplomate et spécialiste des questions climatiques, Laurence Tubiana est souvent citée comme l'"architecte" de l'Accord de Paris sur le climat adopté en 2015.
Après avoir participé aux négociations climatiques du protocole de Kyoto, puis celles notamment de la COP de Copenhague de 2009, elle est chargée par Laurent Fabius de négocier à Paris, puis de suivre les engagements de cette COP21.
En tant qu'ambassadrice française pour le climat, elle a permis la signature de ce texte ambitieux sur lequel 195 États se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique à 2°C, voire 1,5°C.
"Laurence Tubiana est une diplomate, elle l'a démontrée quand elle était en charge des négociations pour la COP21 (...). Une qualité parmi beaucoup d'autres, qui ne nuirait pas dans le contexte actuel… En plus d'agir (enfin) pour le climat", écrit ainsi sur X le militant écologiste Cyril Dion.
Doctorat en économie
Née à Oran, à l’époque en Algérie française, d'un père juriste qui travailla dans le tabac et le cinéma et d’une mère importatrice de meubles scandinaves, Laurence Tubiana a commencé son engagement à la Ligue communiste révolutionnaire.
Elle est diplômée de Sciences Po Paris, titulaire d'un doctorat en sciences économiques et devient ensuite directrice de recherche et directrice du laboratoire d’économie internationale à l'Institut national de la recherche agronomique, (Inra) puis inspectrice générale de l'agriculture. Dans les années 1980, elle fonde et dirige l'ONG Solagral, qui vise à développer l'agriculture dans les pays du Sud et, en 2001, elle crée l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
En parallèle de ces missions de diplomate et de figure de la lutte contre le dérèglement climatique, Laurence Tubiana continue d'enseigner dans le supérieur, étant notamment professeure à Sciences Po Paris, où elle est titulaire de la chaire de développement durable.
"Femme de gauche et écologiste"
Laurence Tubiana n'a jamais été encartée dans un parti politique, un atout alors que le PS, les Écologistes et le PCF proposent une candidature "issue de la société civile" pour Matignon.
Elle a été conseillère environnement de Lionel Jospin quand le socialiste était Premier ministre, détail qui a également été pointé du doigt par ceux qui refusent sa candidature. "Que LFI, parti dirigé par un ancien ministre de Jospin (Jean-Luc Mélenchon, NDLR), récuse Laurence Tubiana, au prétexte qu’elle aurait été conseillère de Jospin (ce qui constituerait une présomption de Macron compatibilité) ne manque ni de sel ni de mauvaise foi", tacle ainsi la socialiste Laurence Rossignol.
Laurence Tubiana se définit elle-même comme une "femme de gauche et écologiste". En 2012, elle fait partie des signataires d'un appel lancé par plusieurs économistes à soutenir la candidature de François Hollande.
"Le combat écologique et social chevillé au corps"
Au-delà de son travail lors des accords internationaux comme celui de la COP21, la septuagénaire participe dès 2012 à l'élaboration et au débat autour de la la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Elle est "parvenue à mettre tous les acteurs autour de la table", explique au Monde Anne Bringault, la directrice des programmes du Réseau Action Climat (RAC).
Depuis 2017, elle dirige la Fondation européenne pour le climat et l'Agence française de développement. En outre, Laurence Tubiana est membre depuis sa création du Haut Conseil pour le climat, chargé d'évaluer la politique climatique du gouvernement français. "Elle s'est battue pour maintenir l'indépendance du HCC bec et ongles", salue Magali Reghezza, ancienne membre, toujours auprès de nos confrères.
L'eurodéputée Karima Delli vante ainsi une "femme de conviction, d’expérience, issue de la société civile, ayant le combat écologique et social chevillé au corps". Sur X, le climatologue et auteur du Giec Christophe Cassou estime que cette candidature "aurait vraiment de l'allure".
"Macron compatible"?
Depuis ce lundi, plusieurs membres de La France insoumise jugent Laurence Tubiana trop "Macron compatible". Son nom a certes circulé pour rejoindre le gouvernement Castex en 2020, mais la rumeur a été démentie par la principale intéressée et elle a décliné à deux reprises le ministère de la transition écologique sous la présidence d'Emmanuel Macron.
Cette accusation vient notamment du fait qu'elle saluait le "discours puissant" et le "leadership" d'Emmanuel Macron à la COP27 en 2022. Laurence Tubiana a pourtant critiqué à plusieurs reprises le chef de l'État, dénonçant, par exemple, son "incarnation très personnelle du pouvoir" et "le gouffre abyssal entre le discours et les actes".
L'économiste a d'ailleurs coprésidé le comité de gouvernance de la convention citoyenne pour le climat, dispositif créé par Emmanuel Macron. Une expérience politique inédite qui débouche selon elle sur un "vrai projet de société", mais dont elle critique la reprise très partielle par l'exécutif.
Cette soit-disant "Macron compatibilité" pourrait faire d'elle un choix stratégique pour le Nouveau Front populaire. Sur France Inter ce mardi, Olivier Faure affirme que cette candidature serait "irrécusable" pour Emmanuel Macron.
"Le chef de l'État ne peut pas dire, c'est farfelu, c'est n'importe quoi. Il est obligé de considérer cette candidature avec attention".
"Tendre la main aux autres acteurs du front républicain"
Sur France 2 néamoins, Manuel Bompard déplore que Laurence Tubiana ait signé "il y a quatre jours une tribune dans laquelle elle appelait à constituer une coalition et un programme commun avec les macronistes".
Une référence au texte signé par l'économiste aux côtés des anciennes ministres socialistes Marisol Touraine et Aurélie Filipetti, mais aussi Noël Mamère ou José Bové, qui appelle à "tendre la main aux autres acteurs du front républicain pour discuter d'un programme d’urgence républicaine".
"Le point de départ d'une telle négociation sera bien sûr, du côté du NFP, son programme, mais chacun et chacune d'entre nous sait, et admet par avance, que ce ne sera pas le point d'arrivée dans tous les domaines", écrivent les signataires.
Du côté des écologistes, le nom de Laurence Tubiana semble être bien apprécié, à l'instar de Yannick Jadot qui salue "des convictions écologistes et sociales fortes et tenaces, de l’expérience, et une méthode qui cherche toujours à associer les citoyens et les acteurs de la société civile aux politiques publiques pour les rendre possibles et efficaces"
Marine Tondelier prend elle la défense de l'économiste après des "attaques ciblées": "Les femmes engagées ne sont pas vos paillassons émotionnels", écrit-elle sur X. L’ancien ministre de la Santé Aurélien Rousseau, élu du NFP, salue sa "capacité à bâtir des compromis pour atteindre des résultats concrets".