"Ça l'a couvert de ridicule": comment Alain Delon a collectionné les nanars à la fin de sa carrière
Alain Delon était un homme d'honneur. Il assumait tout, même les pires nanars de sa filmographie. "Je n'ai jamais rien fait dans ma carrière contre mes envies et contre mes idées", expliquait-il dans Autopsie d'un massacre, le documentaire sur Le Jour et la nuit de Bernard-Henri Levy, considéré comme le plus mauvais film de sa filmographie.
"Je me suis quelques fois trompé (...) mais j'ai toujours sciemment fait ce que j'avais envie de faire. Donc je ne regrette jamais", ajoutait-il dans ce documentaire paru en 2010. "J'ai eu la chance de faire tout ce que je voulais, quand je voulais, avec qui je voulais, où je voulais. Je n'ai jamais fait un film pour manger. J'ai toujours choisi."
Si Alain Delon a tourné l'essentiel de ses chefs d'œuvre entre 1960 (Plein Soleil) et 1976 (Monsieur Klein), l'acteur a enchaîné les nanars dans les années 1980. Polar à sa gloire, blockbuster raté... Delon a fait alors feu de tout bois dans des projets taillés sur mesure pour le mettre en valeur.
"Dans ces films, tout est tourné autour de Delon. Delon est magnifié, statufié au-delà de la raison", résume Richard Tribouilloy, alias Rico, chroniqueur pour le site Nanarland. "Delon a été dans sa propre autoparodie jusqu'au bout, jusqu'à Astérix. Il était tellement dans son ego que ça l'a couvert de ridicule. Et ça l'a desservi."
"Mausolée à sa gloire"
En 1979, Delon est l'une des têtes d'affiche du film catastrophe Airport 80 Concorde. "Il essayait d'avoir une petite carrière américaine. Il joue le pilote du Concorde, une parodie de french lover qui fait des blagues salaces et évite en plus les missiles en faisait des loopings avec son avion."
Projeté en 2023 lors de la Nuit Nanarland, Parole de flic (1985) est de son côté "un véritable mausolée à sa gloire", indique Richard Tribouilloy. La scène d'ouverture, où Alain Delon affronte un homme noir avant de lui lécher la joue et de le raser, reste un choc pour celles et ceux qui l'ont découvert ce soir-là.
Alain Delon joue un policier brisé qui a refait sa vie au Congo et accepte de revenir en France pour affronter une milice fasciste assassinant des jeunes. "L'idée du film, c'est que sans Alain Delon, la France (alors gouvernée par les Socialistes!) est perdue. Il revient expressément pour remettre de l'ordre dans tout ça."
"Complètement frappadingue"
En 1986, Delon obtient un grand succès (1,9 million d'entrées) avec Le Passage, un drame où la star incarne un dessinateur de BD affrontant la Mort pour sauver son fils. "René Manzor n'est pas un mauvais réalisateur mais c'est un film victime de son kitsch et de sa naïveté", juge Richard Tribouilloy.
"Si Le Passage est un film sincère, absolument pas cynique, le résultat final est assez rude à voir", enchaîne le spécialiste. "Tout est très surjoué et la musique de Jean-Félix Lalanne a beaucoup fait pour nanardiser le film qui a un côté mélo premier degré. C'est un film très étrange avec une folie visuelle."
En 1990, Delon est la tête d'affiche de Dancing Machine, polar écrit par le romancier à succès Paul-Loup Sulitzer et le roi du disco Marc Cerrone. Delon incarne un professeur de danse boiteux et désabusé qui va affronter un tueur en série. "C'est un film complètement frappadingue, particulièrement gratiné", s'exclame le chroniqueur.
"Delon incarne la caricature de Delon comme dans Les Guignols. Delon n'a jamais été aussi Delon que dans ce film. Il joue la caricature du vieux fauve blessé. Il boite. Toutes les minettes de 20 ans tombent à ses pieds. Il leur jette des regards mystérieux et les déshabille du regard."
"Il y a une volonté absolue de faire des bons mots qui tombent systématiquement à plat dans une intrigue digne d'un roman de gare. Il y a aussi un twist final complètement pété que même Shyamalan n'oserait pas! Le film a une patine visuelle un peu moche. C'est une vraie capsule temporelle", poursuit-il.
"Le film le plus con de l'année"
Le sommet des nanars de Delon reste Le Jour et la Nuit de Bernard-Henry Lévy, sorti en 1997. Delon y incarne un génial écrivain façon Ernest Hemingway qui vit reclus dans une hacienda mexicaine. Il trouve une forme de rédemption aux côtés d'une actrice incarnée par Arielle Dombasle avant de se tuer en faisant exploser sa montgolfière.
Le Jour et la Nuit est un ratage complet, avait estimé le réalisateur Claude Chabrol en 2002 dans Le Figaro. "(BHL) est intelligent et même subtil. Mais il a fait le film le plus con de l'année. Le plus grave c'est que tout le monde le lui a dit mais il refuse de le croire. Il pense qu'il est en avance."
"C'est un énorme projet et le choc de deux égos surdimensionnés", décrypte Richard Tribouilloy. "Tout le monde est persuadé de faire le meilleur film du monde. BHL a un des plus gros budgets de l'époque et les meilleurs techniciens. L'argent coule à flot et personne ne leur refuse rien. Ils font ce qu'ils veulent et ça se voit à l'écran."
Delon adorait le film: "Je garde un très bon souvenir de cette aventure", expliquait-il dans Autopsie d'un massacre. "J'y croyais (...) Je savais qu'avec son envie (à BHL, NDLR) et ma connaissance de ce métier, on arriverait à faire tous les deux quelque chose (...) Dans mon cœur, il tient une grande place (...) Je ne renierai jamais ce film."