À quoi vont ressembler les "juges de proximité" annoncés par Jean Castex?

Palais de justice (PHOTO D'ILLUSTRATION). - Thomas SAMSON / AFP
Palais de justice (PHOTO D'ILLUSTRATION). - Thomas SAMSON / AFP

Déjà bouleversée par la création des tribunaux judiciaires en janvier, la Justice va connaître un nouveau chamboulement dès l’année prochaine. Lors de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale ce mercredi, le Premier ministre Jean Castex a annoncé la mise en place "dans les territoires des juges de proximité", en charge de réprimer "les incivilités du quotidien". Mais les contours de leurs missions demeurent flous. Tout comme les moyens qui leur seront accordés.

Incivilités et "petit trafic"

Violences urbaines à Dijon, attaque d’un chauffeur de bus à Bayonne, agression d’un pompier en Essonne… Le tout nouveau Premier ministre était attendu de pied ferme sur la question sécuritaire.

"Dans beaucoup de territoires, la petite délinquance, les petites incivilités, le tag, l'insulte, le petit trafic, les troubles à ce que le code communal appelle la tranquillité publique se sont développés au point de gâcher la vie quotidienne des gens", a relevé au perchoir le nouveau chef du gouvernement.

"Entre parler d’insultes, de tags et de petits trafics, ce n’est pas du tout la même chose. Il mélange contravention, délit, pour ensuite parler des événements à Dijon qui sont des crimes", observe sur BFMTV Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la Magistrature. "Le Premier ministre est dans le plagiat d’un discours sécuritaire qu’on a pu connaître dans les années 2000 avec Nicolas Sarkozy", regrette-t-elle.

Comme pour la police, la réponse pénale promise par Jean Castex sera celle de la proximité:

"Dans les renforcements que je demanderai dès 2021 à la représentation nationale de voter, j’ai demandé au garde des Sceaux de flécher des budgets pour créer dans les territoires des juges de proximité spécialement affectés à la répression de ces incivilités au quotidien."

Faire du neuf avec du vieux

Le Premier ministre reprend ainsi le terme d’une ancienne juridiction dissoute en 2017. Créés par la loi Perben I en 2002, les juges de proximité étaient des magistrats non professionnels chargés de trancher certains litiges en matière civile, en lien avec la consommation ou l’immobilier notamment. Ils étaient également compétents pour les contraventions de police entre la 1ère et la 5e classe, qui correspondent à des infractions allant d'un stationnement interdit à la conduite sans permis.

N’ayant pas démontré leur efficacité pour l’objectif principal, celui de désengorger les tribunaux, ils ont depuis été supprimés.

“C’est une vieille recette qui ressort, on fait du neuf avec du vieux", constate Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des Barreaux, interrogée par BFMTV.com.

"La petite délinquance", "la justice de la vie quotidienne"... Au regard des propos de Jean Castex, la nouvelle version de ces juges se concentrera sur le terrain pénal. Il s’agira de rediriger dans les actuels tribunaux de proximité, des juges de police et de correctionnel, pour qu'ils soient "au plus près du terrain", précise-t-on du côté du ministère de la Justice.

Le rôle semble davantage se rapprocher de celui du juge de paix, datant de l’Ancien Régime et qui avait pour mission de "juger sommairement des contestations d’une minime importance ou des petits procès", rappellent les Archives nationales.

Vers une procédure pénale "au rabais"?

À l’annonce du Premier ministre, plusieurs élus ont sifflé Jean Castex, rappelant que "ça existe déjà". Effectivement, des juges président déjà dans des tribunaux de police pour les contraventions. Ces mêmes tribunaux qui ont depuis été incorporés dans ces tribunaux judiciaires, au grand dam des magistrats et avocats. Ils dénonçaient à l'époque une réforme de la carte judiciaire éloignant le justiciable de la justice. Tout l'inverse de ce que prône le nouveau chef du gouvernement.

Pour justifier sa proposition, ce dernier a affirmé que "faute de réponse judiciaire, une forme d'impunité s'est installée" en France. La secrétaire nationale du Syndicat de la Magistrature estime au contraire que "la réponse pénale est extrêmement forte". D’après les derniers chiffres du ministère de la Justice, le taux de réponse pénale, c'est-à-dire la proportion entre les infractions commises et les poursuites pénales qui en ont résulté, s’élevait à 87,7% en 2018. 615.599 condamnations et compositions pénales ont été rendues cette année-là.

Plus globalement, magistrats et avocats s’interrogent sur les moyens dont disposeront ces juges, tout comme leur statut. S’agira-t-il de juges issus, comme leurs prédécesseurs, de la société civile? Ou de magistrats professionnels?

La présidente du Conseil national des Barreaux s’inquiète aussi du risque d’une "procédure pénale au rabais", avec une "précarisation des droits de la défense".

Mais l’avocate ne rejette pas en bloc la proposition du gouvernement, qui n’est "pas forcément une mauvaise idée". Elle a en tout cas le mérite de montrer qu’il est urgent de "ne plus éloigner le juge du justiciable".

Article original publié sur BFMTV.com