Qui à Matignon ? LFI, avec sa rigidité programmatique, fait le jeu d’Emmanuel Macron

Comment la rigidité programmatique de LFI fait le jeu de Macron après les législatives
DIMITAR DILKOFF / AFP Comment la rigidité programmatique de LFI fait le jeu de Macron après les législatives

POLITIQUE - Une question de cap clair. Plus d’une semaine après le second tour des élections législatives, la gauche ne parvient toujours pas à s’accorder sur le nom de celui ou celle qu’elle souhaite proposer à Emmanuel Macron pour devenir Premier ministre.

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Dernier profil avancé ? Laurence Tubiana. Problème ? L’universitaire et diplomate du climat est soutenue par le Parti socialiste, les Écologistes et le Parti communiste. Mais pas par la France insoumise, qui la soumet depuis lundi soir à un tir de barrage nourri, en raison notamment d’une proximité idéologique (supposée) avec Emmanuel Macron.

Laurence Tubiana à Matignon, c’est « faire rerentrer par la fenêtre les macronistes qui ont été chassés par les électeurs », a estimé Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, ce mardi sur France 2. Car, pour lui, « le NFP est arrivé en tête des législatives, il s’agit donc de constituer un gouvernement pour appliquer le programme du NFP. » Et c’est bien là tout le problème. Pour trouver un accord, en tout cas.

Le camp des compromis

Derrière ces batailles de noms, apparaissent effectivement des dissensions sur la ligne politique à tenir, et les éventuels compromis à trouver pour pouvoir gouverner. D’un côté, communistes, écologistes et socialistes, conviennent, à demi-mot, que le Nouveau Front populaire ne pourra pas appliquer sa feuille de route stricto sensu, faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale.

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« Je ne dis pas ’tout le programme, rien que le programme.’ Dire ça, c’est parler comme quelqu’un qui a la majorité absolue et qui se fera balayer d’un revers de main à l’Assemblée », résumait par exemple Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste, ce mardi sur BFMTV, en appelant bien davantage à « construire des majorités, loi par loi, texte par texte. »

Le trio propose donc des noms en conséquence, préférant des profils plutôt consensuels, qui ne présentent pas les aspérités recherchées par le camp présidentiel pour renverser un gouvernement de gauche à la première occasion, voire capables de grappiller quelques soutiens ici et là. C’est d’ailleurs l’un des arguments évoqués par les socialistes pour défendre Laurence Tubiana, une personnalité qu’Emmanuel Macron a essayé de débaucher à plusieurs reprises.

« La candidature de Laurence Tubiana est irrécusable par le chef de l’État. Il ne peut pas dire ’c’est farfelu’ », a ainsi avancé Olivier Faure sur France Inter, avant d’expliquer qu’à ses yeux le futur Premier ministre devra « partir avec ce que nous portons au NFP, chercher à convaincre une majorité, et ensuite de faire en sorte de trouver les compromis éventuels pour aller le plus loin possible. »

« Rien que son programme, mais tout son programme »

C’est là le hiatus majeur avec les insoumis. Pour la formation de gauche radicale, le Nouveau Front populaire a été élu pour appliquer le programme qu’il a présenté aux électeurs. « Son programme, rien que son programme, mais tout son programme », selon les mots de Jean-Luc Mélenchon au soir du second tour.

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Avec cette stratégie différente, qui implique une neutralité du bloc macroniste, les cadres de la France insoumise estiment, au contraire de leurs partenaires, qu’il sera difficile au camp présidentiel et à la droite de renverser un gouvernement de gauche - fut-il minoritaire - s’il s’en tient à son programme et à ses propositions censées être populaires, de la hausse du Smic à la suppression de la réforme des retraites.

« Le NFP dispose de la majorité relative. Il s’agit de constituer le gouvernement, mettre en place notre programme et chaque député aura ensuite la responsabilité de nous laisser ou non dérouler la politique qui est la nôtre » a par exemple insisté Manuel Bompard ce mardi sur France 2, avant de « mettre au défi les députés de censurer un gouvernement qui s’engagerait pour augmenter le Smic ». Dès lors, c’était le sens de l’hypothèse Huguette Bello (présidente de la région La Réunion, ancienne communiste, soutien de Jean-Luc Mélenchon), un temps sur la table, malgré l’aspect radical de sa candidature.

Reste que cette stratégie est, au mieux, un pari ambitieux. Au pire, une gageure. Car du Rassemblement national à la Macronie, nombreuses sont les voix à promettre une censure à un gouvernement du NFP qui comprendrait des Insoumis et des écologistes. Difficile d’imaginer autre chose pour un gouvernement dirigé par une personnalité potentiellement clivante.

Macron, le vrai gagnant ?

Force est de constater que pour l’instant, l’intransigeance de la France insoumise - après le refus du PS de soutenir Huguette Bello - fait le jeu d’Emmanuel Macron, lequel ne s’est toujours pas tourné vers le Nouveau Front populaire pour lui demander officiellement de former un gouvernement. En bloquant le jeu d’un Premier ministre issu de la société civile, ou au profil plus modéré - le seul capable, en l’état des forces actuelles, de se maintenir au pouvoir tant bien que mal - la France insoumise permet effectivement au chef de l’État de lambiner… Ou de se tourner vers d’autres camps.

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En outre, chaque minute de plus à négocier (ou à s’écharper) offre à Emmanuel Macron une raison supplémentaire d’espérer voir l’union de la gauche voler en éclat. Car, plus ça traîne, plus les risques de fracture sont grands. Exemple avec Fabien Roussel, qui se demande à haute voix si la formation mélenchoniste ne cherche pas « un prétexte pour partir et rester dans l’opposition qui est beaucoup plus confortable ».

Alors que la rupture est proche, le Nouveau Front populaire ferait bien de jeter un coup d’œil à droite. Dans la torpeur, Les Républicains s’apprêtent à finaliser un « pacte législatif », qui pourrait être la première pierre d’un accord avec la Macronie pour faire barrage à la gauche et permettre au président de la République de garder, un peu, la main.

Ainsi, en refusant d’envisager quelconque compromis sur son programme, de gauche, la France insoumise pourrait favoriser l’accession au pouvoir d’un gouvernement plus à droite que jamais depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Concrètement : passer de l’augmentation du Smic ou de la taxe sur les super-profits… À la baisse des cotisations patronales.

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