Qui à Matignon ? Ce que cache l’étalement des divisions au sein du Nouveau Front populaire

Ce que cache l’étalement des divisions au sein du NFP (photo prise à Caen le 8 juin, après la formation de la Nupes, l’ancêtre du NFP)
SAMEER AL-DOUMY / AFP Ce que cache l’étalement des divisions au sein du NFP (photo prise à Caen le 8 juin, après la formation de la Nupes, l’ancêtre du NFP)

POLITIQUE - Billard à trois frondes. Le Nouveau Front populaire connaît ses soubresauts les plus violents depuis sa création en urgence pour les élections législatives anticipées. Alors que les partenaires de la gauche doivent être reçus par le président de la République à l’Élysée, vendredi 23 août, en compagnie de Lucie Castets, les voici qui montrent des signes de divisions inédits.

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Comme au temps de la Nupes, c’est une initiative solitaire de la France insoumise qui a mis le feu à la plaine en cette mi-août. Quelques jours après avoir souscrit à la main tendue de Lucie Castets à la droite et au centre, les dirigeants du mouvement mélenchoniste menacent désormais Emmanuel Macron d’engager une procédure visant à le destituer s’il refuse de nommer leur candidate à Matignon.

Une hérésie, pour plusieurs élus à gauche. Et de quoi creuser des lézardes profondes et durables ? Pas si sûr, tant les dissensions stratégiques, volontiers surjouées, permettent aux socialistes et insoumis, les deux composantes majeures de la coalition, de pousser leurs propres pions. Notamment pour 2027.

Du « Mélenchon pur jus »

Car derrière ces acrimonies autour de la course à Matignon, se joue aussi l’avenir de la gauche, toujours tiraillée entre sa frange radicale, et les sociaux-démocrates plus modérés.

En mettant sur la table l’option de la destitution, la France insoumise veut effectivement garder la main sur la palme de l’opposition la plus farouche à Emmanuel Macron. Quitte à vanter une mission quasi-impossible (il faudrait le soutien de la droite à l’Assemblée et au Sénat pour destituer le président de la République) et à s’attirer les foudres de ses principaux alliés. Du « Mélenchon pur jus », commente ainsi le député socialiste Jérôme Guedj, jadis proche de l’insoumis en chef, désormais très critique à son égard.

Qu’à cela ne tienne. Le cap est clair pour le mouvement au « phi » : miser sur une élection présidentielle anticipée, perçu comme un duel ultime entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon pour l’Élysée. C’est d’ailleurs ce que confiait à demi-mot le patriarche LFI en juillet quand il se projetait, déjà, dans les colonnes de la presse européenne, sur la prochaine élection suprême.

« C’est moi qui ai obtenu près de 22 % au premier tour de la présidentielle de 2022, contre 1,7 % au PS. (...) Si 78 % des Français ne veulent pas de moi, il me reste 22 %. Avec ça, je suis au second tour de l’élection présidentielle. Nous verrons quel projet les Français préfèrent : le mien ou celui de Marine Le Pen », lançait-il, bravache, en évoquant déjà le possible départ précipité d’Emmanuel Macron.

Le coup d’après

2027, dans toutes les têtes ? Force est de constater que la gauche modérée ne vise pas vraiment autre chose. Dans une offensive manifestement coordonnée ce mardi 20 août, plusieurs figures de la social-démocratie, au PS mais pas seulement, appellent effectivement à cornériser la mélenchonie et la rudesse de ses pratiques.

« Il faut rompre avec l’esthétique de la radicalité, qui n’est en fait que du sectarisme et empêche justement toute transformation radicale, en finir avec le mythe de la toute-puissance et délaisser Jupiter comme Robespierre. Et donc tourner la page Macron et Mélenchon », cingle par exemple le fondateur du petit parti Place Publique Raphaël Glucksmann dans les colonnes du Point, en promettant du haut de ses 14 % inattendus aux élections européennes le grand soir de la « social-démocratie rénovée. »

Une sortie offensive mais pas franchement propice, là non plus, à cimenter l’union de la gauche avant de se frotter au président de la République. Ni à dégager une solution viable pour Matignon. Cette diatribe est en revanche bien plus utile pour prendre date, préparer la suite, et incarner une politique alternative, à Emmanuel Macron comme à Jean-Luc Mélenchon.

« En 2027, ce sera la social-démocratie, et non un succédané du macronisme ou un avatar du populisme de gauche, qui fera face au lepénisme », parie Raphaël Glucksmann dans cette longue interview, à rebours de l’analyse mélenchonienne et gourmand, lui aussi, de se projeter sur l’après. Mais en attendant ?

Grand soir ou petits pas ?

De nombreuses questions vont continuer à structurer la vie du Nouveau Front populaire pour les prochains mois : comment gouverner ? Avec qui ? Sur la base de quel programme ? Dans la coalition, on en vient à douter de l’envie des mélenchonistes de prendre le pouvoir dans les conditions actuelles.

« Ils ne veulent pas y aller », cingle par exemple un cadre du Parti socialiste pour qui le mouvement de gauche radicale, avec son intransigeance, a « perdu des plumes dans la période. » Les principaux concernés répondent, eux, vouloir s’installer à Matignon mais pour appliquer « tout le programme, rien que le programme » du NFP, seule façon selon eux de ne pas « trahir » les électeurs du Nouveau Front populaire. Une gageure au regard de la répartition des forces à l’Assemblée, la coalition de gauche comptant moins de 200 élus.

En réalité, cette question est centrale depuis des décennies. En 2020, la série (renseignée) « Baron noir » illustrait parfaitement le dilemme de la gauche, écartelée entre les tenants d’une ligne maximaliste et ceux qui s’accommodent de petits pas. « De là d’où je viens, c’est-à-dire du peuple, quand on peut prendre, on prend. Parce qu’on en a besoin. On ne rejette pas des avantages parce que peut-être plus tard dans un monde idéal on peut en obtenir de meilleurs », résumait ainsi le socialiste Philippe Rickwaert à Michel Vidal (personnage inspiré de Jean-Luc Mélenchon) dans la saison 3.

Dans la réalité, le NFP doit encore trancher. Or, certains, comme Jérôme Guedj, estiment que la France insoumise, avec ses initiatives radicales, fait un cadeau à Emmanuel Macron, lequel n’attend rien d’autre que d’arracher les sociaux-démocrates du bloc de gauche pour élargir le bloc central.

À lui, uniquement ? Avec sa menace de destitution, LFI conforte effectivement le chef de l’État dans son pari de diviser de la gauche. Mais, dans le même temps, l’avertissement donne également des arguments au PS pour envisager un divorce avec LFI, conduisant logiquement à l’éclatement du Nouveau Front populaire, comme au temps de la NUPES. Ce qui permettrait alors aux insoumis de s’arroger le récit d’une gauche chimiquement pure, sans compromission, quand les troupes d’Olivier Faure revendiqueront le compromis ou la médaille du « parti de gouvernement ». En politique comme en géographie, l’Élysée n’est jamais trop loin de Matignon.

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