À la marche contre l’antisémitisme, le RN brise un plafond de verre (mais pas sans éclats)

Marine Le Pen et Jordan Bardella photographiés le 12 novembre lors de la marche contre l’antisémitisme à Paris.
GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP Marine Le Pen et Jordan Bardella photographiés le 12 novembre lors de la marche contre l’antisémitisme à Paris.

POLITIQUE - Le 14 mai 1990, lors de la grande marche transpartisane contre l’antisémitisme organisée après la profanation du cimetière juif de Carpentras, Marine Le Pen a 22 ans. Le parti dans lequel elle s’est engagée quatre ans plus tôt, le Front national de son père, ne défile pas. Dimanche 12 novembre 2023, jour de la grande marche « pour la République, contre l’antisémitisme », Jordan Bardella a 28 ans. Le parti qu’il préside, hérité de ce même FN, défile. Pis encore, il revendique sa présence et fustige l’absence du chef de l’État.

De quoi mesurer, en 33 ans, le chemin parcouru par le Rassemblement national sur le sujet, dans un objectif de normalisation parfaitement assumé. Ce qui, dans la classe politique, provoque un réel malaise. « La présence du Rassemblement National ne trompe personne » , prévenait en amont de l’événement la Première ministre Élisabeth Borne. Au lendemain de la manifestation, l’écologiste Sandrine Rousseau ne cache pas son désarroi.

« J’en retiens un moment politique de bascule où le Rassemblement National s’est blanchi face à son antisémitisme de naissance », a regretté sur France 2 la députée de Paris, rappelant le cas du député RN du Var Frédéric Boccaletti, qui a tenu dans le passé une librairie vendant des ouvrages négationnistes (c’est-à-dire niant ou relativisant l’existence de la Shoah). Une échoppe qu’il avait rebaptisée Anthinéa, en référence à un ouvrage de l’auteur antisémite Charles Maurras. Des rappels historiques qui ne produisent plus le moindre effet.

Le RN savoure

Ce dont se délecte le parti d’extrême droite. « Les polémiques lancées de part et d’autre n’ont pas pris dans l’opinion publique. On était là où on devait être, et 70 % des Français l’approuvent selon les sondages. Les remerciements sur notre présence sont plus forts que les invectives d’Olivier Véran », savoure auprès du HuffPost l’entourage de Jordan Bardella, bien conscient que cette participation constitue une réelle victoire en soi.

Ce que notait en amont du rassemblement l’historien Grégoire Kauffmann. « La manifestation de dimanche restera un moment essentiel dans l’histoire du parti d’extrême droite : un plafond de verre a explosé », décryptait-il dans Le Monde, en soulignant que beaucoup dans la classe politique, y compris la majorité macroniste, avaient une part de responsabilité dans ce processus. Comment ? « En pratiquant le mimétisme rhétorique, en reprenant les éléments de langage du Front national, en l’intégrant dans la famille républicaine et en soulignant, pendant les débats parlementaires, le comportement responsable des députés RN face à la dissipation et à la violence verbale de ceux de La France insoumise », analysait-il.

Une ostracisation qui perdure

Dans l’entourage du président du RN, on considère en tout cas que la question de l’antisémitisme originel est définitivement soldée. « Les Français de confession juive savent qui est réellement à leur côté, loin des petites manœuvres basses d’une partie du gouvernement, de la majorité et de la gauche », affirme un proche de Jordan Bardella. Reste que, malgré tout, la normalisation n’est pas encore achevée. Outre les exhumations d’archives embarrassantes qui ont circulé en amont de la manifestation, le RN continue malgré tout d’être ostracisé dans les faits.

Exclue de la photo officielle lançant la marche, tenue à l’écart de la banderole portée par Yaël Braun Pivet, Gérard Larcher, Élisabeth Borne, François Hollande ou encore Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen a dû défiler avec ses troupes en retrait du carré de tête. Une mise à distance qui témoigne de la persistance d’un cordon sanitaire, si distendu soit-il.

Autre signe des éclats provoqués par le bris du plafond de verre, l’action menée par Golem, collectif de jeunes juifs de gauche venus chahuter Marine Le Pen et ses députés. Des particularités qui peuvent être perçues de deux façons : soit la preuve que le Rassemblement national n’est toujours pas devenu un parti comme les autres en dépit de ses efforts pour apparaître comme tel, soit comme des spasmes cadavériques annonçant la mort imminente de la diabolisation qui empêchait jusque-là son accession au pouvoir. Le RN a sûrement son idée sur la question.

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