À l’école, ces enseignants doivent s’adapter face au défi de l’éducation « positive »

La parentalité « positive » ou « bienveillante » a aussi un impact à l’école, où les profs doivent parfois changer leurs méthodes pour s’adapter à des élèves qui n’ont plus le même rapport aux règles.

ÉDUCATION - « Un élève ne voulait s’asseoir que sur le pouf du coin lecture. Il poussait les autres enfants pour l’avoir. Je l’ai expliqué aux parents, mais ils ne voyaient pas où était le problème. » Sandrine*, professeure des écoles dans le Rhône, a des dizaines d’incidents similaires à raconter. Et selon elle, la plupart impliquent des enfants qui reçoivent une éducation dite « positive » à la maison.

Cette méthode éducative, très en vogue dans certains milieux depuis une dizaine d’années, est tournée vers l’écoute des besoins de l’enfant et le développement de son autonomie. Elle implique de laisser l’enfant exprimer ses envies et ses émotions, mais aussi de prendre le temps de lui expliquer les règles, sans les lui imposer.

Selon Stéphane*, lui aussi professeur des écoles dans une grande ville de province, « l’idée globale d’écouter un enfant ne peut pas être remise en question. Mais l’école n’est pas adaptée aux enfants de parents qui appliquent strictement ces principes. L’idée de tout justifier et de tout expliquer est dure à réaliser dans ce cadre. On ne peut pas faire de l’individualisme total dans une classe de 30. »

Le HuffPost a interrogé trois enseignants en école primaire confrontés à ces nouveaux enjeux afin de savoir ce qui avait changé dans leur rapport aux élèves et dans leurs méthodes éducatives. Si certains ont pu s’inspirer de principes de l’éducation « positive », d’autres y voient surtout une source de difficultés.

« Ça peut poser des problèmes de sécurité »

Après 22 ans dans la même école, Sandrine a demandé sa mutation. Dans son ancien établissement, beaucoup d’enfants étaient élevés selon les préceptes de l’éducation « positive ». Un challenge pour l’enseignante de 55 ans, qui connaissait pourtant bien cette méthode. « J’ai lu des livres d’éducation “positive”. J’ai l’impression de mener mes classes avec une manière qui correspond à certains principes. Avec beaucoup de bienveillance et d’écoute. Tout en fixant des limites que j’expliquais », relate celle qui avait aussi banni les punitions.

Mais elle était confrontée à un public qui ne comprenait parfois pas les interdictions : « J’ai vu des élèves s’asseoir sur le bord des fenêtres avec qui il fallait argumenter pour qu’ils descendent. » Stéphane ajoute que « l’obéissance pure et dure n’existe plus. Il faut se justifier. Ça peut poser des problèmes de sécurité. Ne pas marcher sur la route quand on se déplace en groupe, par exemple. »

Il tente aussi tant bien que mal de s’adapter. Selon lui, « enchaîner les exercices » n’est plus possible, « il faut animer » et changer régulièrement de leçon. Il note aussi « une réticence à aller dans le sens de l’adulte » chez les élèves. Appliquer une règle, comme un calcul de maths, devient un défi. S’il prend bien évidemment le temps pour les explications, il précise : « on ne peut pas tout expliquer, un calcul ça se fait de cette manière depuis la nuit des temps, parfois il faut juste appliquer les choses ».

Des problèmes avec les parents

Dans ce contexte, des tensions apparaissent parfois avec les parents. « J’ai de bons rapports avec eux », assure Stéphane, même s’il considère qu’une « petite réprimande peut en choquer » certains : « Pour des parents, dire à un enfant de se taire est une agression. »

Sandrine s’est vue confrontée à ce genre de situations de nombreuses fois. « Certains enfants ne comprennent pas le “non”. Et pour certains parents c’est normal », dénonce-t-elle. « Une mère m’a une fois dit que j’avais traumatisé son fils… Car je l’avais empêché d’aller discuter en classe tout en lui expliquant pourquoi. »

Tous les deux regrettent un manque de soutien de la part de certains parents. « On m’a même conseillé de lire des livres de pédagogie », déplore Sandrine, qui dit s’être sentie souvent impuissante, sa parole n’étant pas entendue et étant même parfois remise en cause. Et « quand les enfants sentent que les enseignants et les parents ne s’entendent pas, ils peuvent aussi s’en servir pour ne pas respecter les contraintes », ajoute-t-elle.

L’importance de l’effectif

Mais l’éducation positive peut aussi servir d’inspiration à certains instits. Laurence*, professeur de 49 ans, certifie n’avoir que très rarement été confrontée à ce type de problèmes en 12 ans de carrière dans un village du sud de la France. Celle qui « fait de l’éducation positive à la maison » en applique aussi certains principes en classe. Tout en s’adaptant aux contraintes d’apprentissage et de groupe.

Dans son école, elle suit ses élèves pendant le cycle de la maternelle. Cette particularité lui a permis de mettre en place un système où l’apprentissage des compétences nécessaires pour passer au CP est échelonné : « En petite section, ils apprennent à s’adapter aux contraintes du groupe et à respecter les règles minimales. La troisième année, j’insiste sur les acquis et je les embête beaucoup plus. »

Laurence explique également avoir changé sa manière de communiquer. Comme ses collègues Sandrine et Stéphane, elle prend plus de temps pour expliquer les contraintes. Ses règles de vie ne commencent plus par « je dois » ou « je ne dois pas » et le « non » a été remplacé par le « stop ». « L’enfant qui se fait embêter peut dire “stop” avec un geste de la main. Ça leur permet parfois de régler des problèmes entre eux », explique l’enseignante qui n’applique pas non plus de punition.

Elle reconnaît néanmoins qu’il s’agit d’un « idéal ». Selon elle, pour mener à bien une classe avec ces principes, la question de l’effectif est primordiale : « Quand on est 29, c’est difficile de régler quatre conflits en même temps. Une année, on était 16. C’était beaucoup plus facile à mettre en place. »

*Les prénoms ont été modifiés

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