À Gaza, ces parents ne peuvent plus scolariser leurs enfants et s’inquiètent pour leur avenir

Les décombres de l’école gouvernementale Muscat à Gaza City.
OMAR AL-QATTAA / AFP Les décombres de l’école gouvernementale Muscat à Gaza City.

GAZA - « Ma fille devrait être en deuxième année de primaire. Elle était très heureuse de commencer l’école et nous étions fiers d’elle. Malheureusement, elle n’a pu être scolarisée qu’un seul mois avant que la guerre n’éclate, volant sa joie et ses rêves », témoigne Riyad. Pour la deuxième année consécutive, son aînée de 7 ans, Nay, ne pourra pas être scolarisée.

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Elle fait partie des plus 650 000 enfants palestiniens qui ne prennent plus le chemin de l’école : un an après le 7 octobre 2023, la scolarisation à Gaza, où les Palestiniens sont d’abord confrontés à des enjeux de survie, semble à l’arrêt. Entre l’inquiétude pour l’avenir de leurs enfants et les dangers très immédiats auxquels ils font face, deux parents ont témoigné de leurs inquiétudes auprès du HuffPost.

« Ma fille pose des questions sur son école, ses livres, ses enseignants »

« Je passe des nuits blanches à penser à Nay, qui était tellement heureuse d’aller à l’école », confie Riyad. Le trentenaire palestinien, salarié de l’ONG française Secours Islamique France, a toujours placé l’éducation de ses enfants comme une priorité. « Mais la guerre a tout détruit. » En premier lieu, les bâtiments.

Car si les enfants de Gaza ne peuvent plus aller à l’école, c’est en partie parce qu’elles n’existent plus : d’après un rapport de l’organisation de défense des droits humains Al-Mezan cité par Mediapart, 188 des 288 écoles de l’UNRWA (agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens) ont subi des attaques de l’armée israélienne, et 285 des 448 écoles publiques ont été détruites par des bombardements. Dont l’établissement de la fille de Dina, mère de trois enfants.

Habitante du nord de la bande de Gaza, la jeune trentenaire dirigeait un centre éducatif avant le 7 octobre 2023. Sa fille aînée de 10 ans entame, elle aussi, sa deuxième année scolaire sans éducation. « Ma fille me pose des questions tous les jours sur son école, ses livres, ses enseignants. Tout a été détruit. »

La vie sous les tentes, à chercher des ressources

Pour éviter les bombardements, être en sécurité et accéder à des ressources en nourriture, en eau ou en soins, de nombreux Palestiniens sont forcés de se déplacer sans relâche. C’est le cas de Ryiad et de sa famille, qui ont dû chercher refuge dans cinq villes différentes dans la bande de Gaza ces douze derniers mois, avant d’arriver à Al-Mawassi, « dans le plus grand complexe de tentes de Gaza, dans une région agricole près de la mer ».

Il y décrit des mois de « souffrances intenses » sous des tentes qui ne protègent ni de la chaleur, ni du froid, avec des risques liés aux insectes, aux rongeurs et aux scorpions. Pour continuer l’apprentissage de Nay, Riyad et sa compagne ont réussi à trouver quelques manuels scolaires. « Quand le temps le permet, elle révise avec sa mère, explique-t-il, mais les journées sont pleines de travaux domestiques, de peur et de risques de bombardements. Nous passons aussi de longues heures à chercher de l’eau, en particulier de l’eau potable. »

Il raconte aussi les difficultés auxquelles les tentatives de maintenir l’apprentissage des enfants ont dû faire face. « Certaines initiatives ont tenté de regrouper des enfants dans des tentes pour ne pas oublier ce qu’ils ont appris avant la guerre, mais cela n’a pas été très efficace. Les conditions de vie dans les tentes sont trop difficiles, avec une chaleur accablante, et beaucoup de familles doivent se déplacer constamment. »

Tenter de garder contact avec ses élèves

Dans la région de Deir el-Balah, où Dina et sa famille ont trouvé refuge dans une tente, certaines « tentes d’éducation » existent. Mais la trentenaire refuse d’y envoyer sa fille, par peur. « Tous les endroits sont exposés au danger », explique-t-elle.

Prof d’anglais de profession, elle tente avec grandes difficultés à maintenir le contact avec ses élèves. « J’enseigne l’anglais à certains via WhatsApp, mais Internet n’est pas stable, et la plupart des élèves n’ont aucunes ressources pour les aider. Certains n’ont pas de smartphone. Beaucoup d’entre eux sont décédés. »

Aussi bien Riyad que Dina tentent de rassurer leurs enfants du mieux qu’ils peuvent. « Je fais de mon mieux pour répondre sincèrement à Nay et lui apporter un peu de clarté, raconte le père de deux enfants. Elle comprend qu’elle ne peut plus aller à l’école à cause de la guerre, mais elle ne comprend pas pourquoi il y a la guerre, ce qui est difficile à lui expliquer. J’essaie toujours de la rassurer et de lui donner espoir qu’un jour, le soleil se lèvera et elle reprendra l’école, ici à Gaza ou ailleurs. »

Une « fenêtre vers l’avenir »

Dina, qui subit également l’absence de soins et d’hôpitaux pour ses jumeaux nés prématurés quelques semaines avant le début de la guerre, constate que « la peur prend le dessus » chez son aînée. « Je suis triste que ma fille soit privée de son droit à l’éducation, et je m’inquiète de son ignorance », ajoute-t-elle.

Ryiad le rappelle, l’importance de l’éducation n’est pas seulement liée aux savoirs. « L’école, pour ma fille et pour nous, n’est pas seulement un lieu d’apprentissage, mais aussi un endroit où elle se sent en sécurité. Elle est aussi un lieu rassurant qui permet de corriger les comportements des plus petits, de leur apprendre comment vivre et grandir dans un contexte sain. »

Des espaces qui semblent indispensables pour sa fille, qui a « miraculeusement » survécu à un bombardement après avoir été extraites des décombres d’un bâtiment dans lequel elle se trouvait. « L’éducation représente une fenêtre vers l’avenir, et je crains qu’elle ne s’ouvre plus pour ma fille. »

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