Aux États-Unis, la destitution de Kevin McCarthy plonge les institutions en territoire inconnu et risqué
ÉTATS-UNIS - Il a presque brisé le marteau d’exaspération et de colère à la fin de la séance. Le républicain Patrick McHenry est devenu, mardi 3 octobre, le président (« Speaker ») par intérim de la Chambre des Représentants au terme d’une après-midi chaotique qui a abouti à la destitution de Kevin McCarthy, désavoué par une poignée d’élus radicaux de son propre camp.
Son départ forcé, une première dans l’histoire bicentenaire des États-Unis, met fin à neuf mois de tempête. L’élu californien a en effet été malmené par une vingtaine d’élus pro-Trump dès son élection compliquée en janvier. Le jugeant indigne de confiance après des concessions accordées aux démocrates, le trumpiste Matt Gaetz a finalement décidé de déposer une motion de censure.
The Rep. Patrick McHenry gavel slam .... pic.twitter.com/TV1VGbkT7Y
— Howard Mortman (@HowardMortman) October 3, 2023
Les démocrates ont, de leur côté, refusé de sauver l’homme qui leur a pourtant permis d’éviter in extremis une paralysie budgétaire dite « shutdown » quelques jours plus tôt. « C’est la responsabilité du GOP [Grand Old Party, surnom du parti républicain, NDLR] de mettre fin à la guerre civile entre les républicains de la Chambre », a justifié le chef de file des démocrates, Hakeem Jeffries.
Le parti de Joe Biden a aussi accumulé de la rancœur. « McCarthy a malmené les démocrates, dit que c’était eux qui voulaient le shutdown, il a fait des promesses sans les tenir… Il était haï non seulement par les républicains, mais aussi par les démocrates », explique Jérôme Viala-Gaudefroy, chargé de cours à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et spécialiste des États-Unis, interrogé par Le HuffPost. Résultat des courses : 208 démocrates associés à 8 trumpistes ont précipité son départ, contre 210 voix républicaines en faveur de son maintien.
Plongeon dans l’inconnu
Et maintenant que se passe-t-il ? C’est toute la question puisque la Chambre entre en territoire inconnu. D’après le New York Times, les républicains ont décidé lors d’une réunion privée de quitter Washington pour une semaine, sans donner d’indications sur la suite des événements. Quant à Kevin McCarthy, il aurait dit qu’il ne se représenterait pas même s’il en a la possibilité. « Ce ne sont que des bruits de couloir », met toutefois en garde Jérôme Viala-Gaudefroy.
« Dans le cas d’une vacance au poste de Speaker, aucune règle ne précise comment la Chambre doit organiser un nouveau vote », a pointé Matthew Green, auteur d’un livre sur la présidence de la Chambre des Représentants, cité par NBC. « Toutefois, a-t-il ajouté, la Chambre voudra élire un nouveau Speaker rapidement pour poursuivre les travaux législatifs. »
Patrick McHenry, président par intérim de la Chambre d’ailleurs choisi par McCarthy, aura pour seule tâche d’organiser ce vote. Mais dans combien de temps ? À voir la décision des Républicains de quitter la capitale fédérale, pas avant mardi prochain. Et avant le vote, il faut que le parti à l’éléphant choisisse son candidat.
Trump pour remplacer McCarthy ?
Problème, aucune personnalité ne semble émerger et seul Jim Jordan a annoncé sa candidature officiellement ce mercredi 4 octobre. La presse américaine dont le New York Times évoque des personnalités comme Steve Scalise, le chef de la majorité qui vient de débuter une chimiothérapie, Tom Emmer, qui a pourtant décliné l’offre quelques jours plus tôt, ou encore Elise Stefanik. PBS donne pour sa part une liste complètement différente, incluant les noms d’Adrian Smith ou de Robert Wittman.
Des trumpistes plein d’espoirs ont aussi évoqué le nom de Donald Trump. L’ancien président cerné par les affaires et en course pour la présidentielle 2024 « est le seul candidat pour le poste de Speaker que je soutiens », a par exemple écrit sur X (ex-Twitter) l’élue ultraconservatrice Marjorie Taylor Greene.
The only candidate for Speaker I am currently supporting is President Donald J. Trump.
He will end the war in Ukraine.
He will secure the border.
He will end the politically weaponized government.
He will make America energy independent again.
He will pass my bill to stop…— Rep. Marjorie Taylor Greene🇺🇸 (@RepMTG) October 4, 2023
« Légalement, il pourrait : rien n’oblige le Speaker à être un élu de la Chambre », rappelle Jérôme Viala-Gaudefroy. « Ce qui est sûr, poursuit le spécialiste des États-Unis, c’est que personne ne fait consensus à cause de la guerre intestine dans le parti. Personnellement, je ne me risquerais pas de faire un pari ! »
Une fois qu’un candidat aura été désigné, le vote pourra avoir lieu. Les démocrates devraient pour leur part désigner Hakeem Jeffries, comme en janvier, mais leur chance de l’emporter est extrêmement mince puisque les Républicains ont la majorité à quelques voix près. Une alliance entre les deux partis en faveur de Jeffries serait aussi improbable qu’inédite.
Le risque d’un shutdown en novembre
Mais là encore, rien n’est gagné pour les républicains. Le candidat, ou la candidate, désigné devra recueillir 218 votes, soit la majorité des voix. Or en janvier, McCarthy a dû attendre 15 tours de scrutin pour être élu en raison de la fronde déjà féroce des trumpistes. C’était la première fois en 100 ans que le Speaker n’était pas élu dès le premier tour. La suite de l’histoire est connue.
En attendant un successeur à McCarthy, la Chambre est complètement bloquée. « Patrick McHenry n’a qu’un pouvoir symbolique, il ne peut faire passer aucune loi et aucun budget. Or dans moins de 45 jours, le 17 novembre, les États-Unis risquent à nouveau le shutdown », alerte Jérôme Viala-Gaudefroy.
Fin septembre, seul un compromis temporaire a été trouvé. En un mois et demi, les élus doivent donc impérativement trouver un nouveau Speaker puis voter le budget pour éviter la paralysie du pays. « Le système législatif américain est fait pour le compromis, or une vingtaine de républicains campe sur ses positions notamment sur les dépenses qu’ils veulent drastiquement couper », poursuit le spécialiste de la politique américaine. Quitte à provoquer le chaos.
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