Pour les éleveurs face aux loups, l’arme à feu est-elle la solution la plus efficace ?

La question du recours au tir sur les loups divise.
La question du recours au tir sur les loups divise.

LOUPS - Les éleveurs crient aux loups. Le « Plan loup 2018-2023 », qui consiste comme ses prédécesseurs à protéger les activités d’élevage tout en favorisant le développement du loup touche à sa fin. Ses résultats sont là… et les critiques aussi, alors que s’élabore déjà le prochain plan quinquennal. Le nombre de meute a doublé en cinq ans, avec 921 loups en 2022, contre 430 en 2018, selon l’Office Français de la Biodiversité (OFB). Avec cette croissance, un nombre record de bêtes abattues par armes à feu : 168 en 2022.

Bien sûr, c’est le goût de loups pour la viande fraîche qui oppose éleveurs et défenseurs de la nature. Dans certaines régions, le nombre d’attaques a doublé : c’est le cas en Bourgogne-Franche-Comté où l’on comptait 758 incidents en 2021, contre la moitié un an plus tôt. Malgré l’indemnisation offerte par l’État pour chaque bête attaquée, « il y a un préjudice moral qui n’est pas mesurable et qui est largement sous-estimé », expliquait ainsi Agathe Chevalier, ingénieure agronome, dans une vidéo de la Chambre régionale d’agriculture de Bourgogne-Franche-Comté.

Les associations d’éleveurs se réunissaient donc ces 1er et 2 juin à l’occasion des Assises de la prédation à Chorges, dans les Hautes-Alpes, avec le Ministre de l’Agriculture Marc Fesneau. Objectif, revendiquer une nouvelle fois les attentes des éleveurs avant la fin des délibérations du Groupe National Loup, qui révéleront le nouveau plan des cinq années à venir le 3 juillet prochain. Le tir par arme à feu sur les loups en cas de danger est le sujet à haut risque de ces discussions : les éleveurs souhaitent que ce droit soit élargi, les associations de protection de la nature veulent le restreindre encore.

Le tir, un moyen de défense qui divise

Le tir sur les loups est déjà très réglementé en France. En 1979, le pays s’est engagé à participer à la protection internationale du loup, classé comme une espèce « strictement protégée ». À ce titre, l’abattage des loups est rigoureusement contrôlé. Actuellement, 19 % de la population de loups peut-être abattus, ce qui représentait 174 bêtes en 2022. Si le plafond n’a pas été atteint, il a tout de même été frôlé avec 168 loups abattus en 2022.

Les associations agricoles demandent à ce que le statut soit réévalué afin de passer de « strictement protégé » à « protégé », ce qui permettrait d’augmenter ce plafond. Selon un communiqué de presse de la Chambre d’Agriculture de Bourgogne-Franche-Comté, « le tir de défense reste le moyen le plus efficace pour assurer la protection des troupeaux ». Mais les défenseurs du loup soulignent que le plafond est déjà passé de 12 % en 2018 à 19 % aujourd’hui.

Pour eux, l’abattage du loup n’est pas la solution, et pourrait même accentuer le problème. D’après l’association FERUS, en pointe sur le combat pro-loup, la mort d’une bête dominante peut « déstructurer la meute », et augmenter l’agressivité et « les attaques envers les troupeaux ». Que faire alors ? D’autres solutions plus durables et efficaces seraient à privilégier.

Des mesures prometteuses mais mal appliquées

L’État a ainsi défini trois mesures de protection, qu’il subventionne à 80 % afin d’encourager leur mise en place. La présence de chien de protection, la surveillance humaine et la pause de clôtures électrifiées à 3 000 volts faisant quatre-vingts centimètres de hauteur. « Mais ce n’est pas assez ! Dans les pays voisins elles mesurent 1,20 mètre et c’est bien plus efficace » s’est insurgé auprès du HuffPost Patrick Boffy, vice-président de l’association FERUS.

Jean-Luc Valérie, de l’Observatoire du Loup, estime également que les alternatives à l’arme à feu ne sont pas correctement valorisées, donc inefficaces : « On est déjà allé vérifier sur le terrain, et les clôtures n’étaient pas bien posées », s’alarme-t-il.

Quant à la surveillance humaine, c’est le moyen le plus contraignant car elle doit en priorité s’effectuer la nuit, lorsque les loups rôdent. Reste donc les chiens de protection. Mais là encore, Jean-Luc Valérie explique que si l’idée est bonne, son application laisse à désirer. Il faut attendre les trois ans de l’animal pour le considérer comme opérationnel, alors qu’ils sont souvent lâchés sur le terrain bien plus jeunes.

Ces arguments ne convainquent pas les premiers intéressés. « Un éleveur n’est pas là pour dresser des chiens ou pour planter des filets […]Un éleveur qui a déjà un énorme travail physique, lui demander de faire ça en plus, c’est presque insultant » s’irritait ainsi Agathe Chevalier à la Chambre d’Agriculture.

Contre l’abattage, l’évitement

Si éleveurs et associations ne trouvent pas d’accord sur la question du tir, un point commun sort du lot dans deux argumentaires bien différents : la responsabilité de l’État et le manque d’un suivi personnalisé.

Les associations de protection de la nature proposent ainsi que l’État puisse « informer individuellement chaque éleveur du risque de prédation ». En parallèle, le communiqué de presse de la Chambre d’Agriculture de Bourgogne-Franche-Comté demande à ce que « l’État soit à même de présenter un suivi en temps réel, aux différents échelons - départemental et régional - ».

C’est d’ailleurs un projet similaire que défend l’Observatoire du Loup. Pour l’association, la solution serait de former une équipe de quatre ou cinq experts par département, qui connaîtraient les comportements et les habitudes du loup. Ils pourraient alors estimer son itinéraire au jour le jour afin de permettre à l’éleveur d’éviter la zone. Sans cela, Jean-Luc Valérie estime que la situation « va devenir ingérable » et que « c’est l’État le premier responsable. […] C’est aux élus et aux politiques de prendre le sujet en main ».

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