Élection américaine 2024: Kamala Harris, de vice-présidente à candidate espoir des démocrates
Un duel qui plonge le monde et les États-Unis d'Amérique en apnée. Ce mardi 5 novembre, Kamala Harris affronte Donald Trump dans les urnes. Pourtant, il y a une centaine de jours, la candidate démocrate ne savait pas qu'elle jouerait tant son avenir que celui de ce pays de plus de 330 millions d'habitants.
Le 21 juillet 2024, lorsque Joe Biden annonce retirer sa candidature, son destin bascule: elle est entraînée dans cette course effrénée à la Maison Blanche, laissant au placard son costume de vice-présidente. Un costume que l'opinion publique juge trop grand pour elle.
En tant que vice-présidente, depuis janvier 2021, Kamala Harris est impopulaire. "Elle a même été la plus impopulaire de l'histoire des États-Unis depuis Dick Cheney (vice-président de George W. Bush, NDLR), souligne Marie-Christine Bonzom, politologue, journaliste et spécialiste des États-Unis, contactée par BFMTV.com. Selon le site spécialisé Fivethirtyeight, qui agrège les principaux sondages réalisés outre-Atlantique, elle dépasse à plusieurs reprises les 53% d'opinions défavorables.
Une vice-présidente qui "se prend les pieds dans le tapis"
Durant la première partie de son mandat, l'ancienne sénatrice est largement éclipsée par Joe Biden. Si l'on parle d'elle, c'est pour les mauvaises raisons. Comme pour critiquer sa gestion du dossier brûlant de l'immigration qu'elle s'est vue confié en mars 2021 alors que le pays fait face à un afflux massif de migrants à la frontière avec le Mexique. Les républicains se délectent du moindre faux pas sur le sujet.
"Dès le début, elle se prend les pieds dans le tapis lors d'entretiens télévisés", se remémore Olivier Richomme, professeur de civilisation américaine à l’université Lumière Lyon-2, interrogé par BFMTV.com.
Lorsqu'un journaliste de la NBC lui demande pourquoi elle ne s'est jamais rendue à la frontière en personne, elle lui rétorque "qu'elle n'est pas non plus allée en Europe". Une réponse qui va faire les choux gras de la presse conservatrice.
Résultat: elle se recroqueville sur elle-même, se fait discrète. Si elle réalise de nombreux voyages à l’étranger, elle ne mène pas de négociations majeures, ni sur le front ukrainien ni au Moyen-Orient. Contrairement à Joe Biden qui pendant sa vice-présidence sous Barack Obama multipliait les prises de position à l'internationale.
Elle préfère concentrer ses forces sur la politique intérieure du pays, les droits sociaux, et sur ce qui deviendra sa "boussole": les droits des femmes, et plus spécialement l'avortement.
L'avortement, "un second souffle dans sa vice-présidence"
"Une deuxième partie de son mandat s'ouvre en 2022", commente Olivier Richomme avec l'annulation en juin de l'arrêt Roe vs Wade qui garantissait le droit à l'IVG au plan fédéral.
"Avec la question de l'avortement, elle trouve sa voie, c'est un second souffle dans sa vice-présidence. Elle a beaucoup plus de crédit à en parler que Joe Biden", poursuit le spécialiste des États-Unis.
Kamala Harris, née d'un père jamaïcain et d'une mère indienne, baigne dans la marmite féministe depuis petite. Ce combat lui a été inculqué par sa grand-mère, très active dans ce domaine depuis l'Inde et sa mère, Shyamala, qui a immigré aux États-Unis en 1961, arrivant à Berkeley pour étudier.
Devenue chercheuse spécialiste du cancer du sein, cette femme, qui "a fait l'objet de discrimination" "a élevé ses filles, Kamala et Maya, pour être des femmes 'fortes' et indépendantes", affirme Alexis Buisson, auteur de Kamala Harris, l’héritière auprès du magazine Émile Magazine. Grâce à son père, lui-aussi très engagé dans les droits civiques, Kamala Harris participe aux manifestations depuis son berceau, à Oakland, en Californie,
Membre du parquet général de cet État, elle combat les pratiques trompeuses de certains militants anti-avortement. Après être devenue en 2003, procureure de San Francisco puis en 2010 procureure générale de Californie -et de devenir la première femme, et première personne noire à diriger les services judiciaires de cet État-, elle est élue sénatrice en 2017. Mandat lors duquel elle s'est montrée très critique du juge conservateur anti-avortement Brett Kavanaugh, le mitraillant de questions lors d’une audition de confirmation avant sa nomination à la Cour suprême.
Ce parcours a tant vernis que terni sa réputation lui collant l'image d'une femme "dure". Sans réussir à convaincre. Preuve en est de son court chemin dans la primaire démocrate de 2020 face à Joe Biden.
"Au final, elle a eu une expérience sur le plan national, très courte, avant de devenir vice-présidente", remarque Olivier Richomme. "La population américaine la connaissait peu".
Avant d'ajouter: "En règle général, les vice-présidents sont discrets, mais en tant que première femme vice-présidente, d'origine indienne et jamaïcaine, on pouvait penser qu'elle allait prendre plus de place. Elle a finalement été peu considérée".
De la candidate sur la touche à la candidate indiscutable
Joe Biden, qui annonce rebriguer la présidence en avril 2023, décide de reconduire Kamala Harris comme colistière. Ensemble, ils remportent les primaires démocrates en mars 2024. Mais dans les coulisses, le parti s'affole. Joe Biden, dont les moments d'absence et les incohérences sont de plus en plus visibles, est en chute libre dans les sondages.
Des noms fusent pour le remplacer: le gouverneur de Californie Gavin Newsom, la gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer, ou encore le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro. Le nom de Kamala Harris est bien sûr dans la liste mais "elle n'est pas le premier choix", affirme Marie-Christine Bonzom. "En privé, certains démocrates disent qu'elle n'a pas l'envergure nécessaire".
Avant le débat entre Donald Trump et Joe Biden, coup de grâce pour ce dernier, "elle n'était pas du tout pressentie", ajoute la spécialiste qui a couvert sept présidentielles américaines en tant que correspondante de la BBC à Washington. Pourtant, moins d'un mois plus tard, lorsque le président se retire de la course, il déroule le tapis rouge à sa vice-présidente.
Kamala Harris est prête. Les élites du parti se rangent derrière elle.
"Le parti se rallie à elle comme un seul homme", souligne le professeur de civilisation américaine Olivier Richomme.
Aucune figure démocrate n'ose se présenter face à elle. "Le Parti démocrate trouve son sens de l'unité dans la peur de Trump. Les divisions sont mises sous le tapis, personne ne veut prendre le risque de lancer le parti dans une guerre civile, d'endommager la candidate", ajoute-t-il. Les premiers soutiens se multiplient: Bill et Hillary Clinton, Elizabeth Warren, Nancy Pelosi ou encore ceux cités quelques jours avant comme ses potentiels concurrents....
La politologue Marie-Christine Bonzom souligne toutefois que Kamala Harris a été choisie par les ténors du parti, "la base, elle, n'a pas eu son mot à dire". "Elle n'est pas testée aux urnes, elle n’est pas passée par l'épreuve du feu que sont les primaires", remarque-t-elle.
"Une campagne extraordinaire de séduction"
En 24 heures, l'équipe de campagne de la vice-présidente lève plus de 81 millions de dollars. Une collecte de fonds record qui vient s'ajouter aux 240 millions de dollars récoltés jusqu'ici par l'équipe de campagne de Joe Biden.
De même, en 24 heures, Kamala Harris sécurise sa nomination à la convention démocrate. Elle reçoit les promesses de vote de plus de 2.100 délégués, sachant qu'il faut qu'elle obtienne au moins le vote de 1.976 des 3.949 délégués présents.
"Le fait qu'un parti change de candidat après les primaires est sans précédent dans l'histoire des États-Unis. Elle a mené une extraordinaire campagne de séduction, lancée tout azimut avec l’aide de l’appareil du parti", constate Marie-Christine Bonzom. Son profil "d'animal politique" ressurgi, abonde Olivier Richomme.
Le début de cette campagne éclair est marqué par l'euphorie. La convention démocrate le 22 août à Chicago, digne d'un show hollywoodien, ne fait que confirmer la tendance.
"Au nom du peuple, au nom de tous les Américains, peu importe leur parti, leur race, leur genre (...) j'accepte votre nomination pour devenir présidente des États-Unis", lance Kamala Harris, devant une foule transcendée.
Certains militants interrogés par BFMTV disent ne pas avoir observé un tel engouement depuis la campagne de Barack Obama.
"C'était tellement un soulagement chez les démocrates que Joe Biden se retire que n'importe qui aurait suscité de l'engouement", nuance le professeur de civilisation américaine.
"Personne ne la connaissait, il a fallu se présenter à la population américaine", ajoute-t-il soulignant que sa personnalité très affable est un atout pour sa campagne. Sur le terrain, à la rencontre des électeurs, elle est à l'aise, pleine d'énergie. Elle aime serrer des mains, danser avec des enfants. Son rire communicatif, que Donald Trump aime tourner en ridicule, fait d'elle une personne accessible.
Malgré un débat triomphant, une campagne qui "bat de l'aile"
Kamala Harris continue sur sa lancée avec le débat télévisé le 10 septembre contre son adversaire républicain. Pendant près de deux heures, arguments et invectives fusent entre les deux candidats. Ses réflexes de procureur ressortent, elle mène le débat tel un réquisitoire avec maîtrise tout en affichant une posture détendue. Le verdict de l'opinion publique et de la presse américaine est sans appel: Donald Trump, au ton de plus en plus agressif au fil du débat, a été déstabilisé par sa "coriace rivale".
Alors qu'elle vivait jusqu'ici "dans un environnement sur-protégé, notamment en évitant les médias" selon Marie-Christine Bonzom, elle prend confiance et se montre sur les plateaux télé. Chez la célèbre Oprah Winfrey ou encore sur l'antenne de Fox News, la chaîne préférée des conservateurs américains.
"Mais à partir de là, sa campagne commence à battre de l'aile", affirme la spécialiste. "L'euphorie, qui a duré le temps de l'été, retombe."
Kamala Harris ne décolle pas dans les sondages et reste au coude-à-coude avec Donald Trump. L'incertitude est plus grande que jamais.
Elle tente de gratter des voix du côté des électeurs indépendants, notamment dans les États clés, car ce sont eux in fine qui scelleront le sort des candidats. Elle veut aussi séduire l'électorat conservateur indécis. Elle recentre son image, elle veut "casser l'image de la candidate d'extrême gauche", selon Olivier Richomme.
Elle s'affiche fièrement au côté de ses soutiens républicains comme l'ancienne numéro trois du parti et fille du vice-président de George W. Bush, Liz Cheney. Kamala Harris tire un trait sur l'environnement, tire la barre à droite sur l'immigration, cheval de bataille de Donald Trump, ou encore se veut rassurante sur le droit de détenir une arme en affichant sa possession d'un Glock. Mais des démocrates craignent que la carte "tout sauf Trump" ne suffise pas, selon la politologue Marie-Christine Bonzom.
L'ombre de Joe Biden lui colle à la peau
Puis, surtout, l'ombre de Joe Biden lui colle à la peau. Bien que le bilan économique de son mandat soit positif, les Américains ont une tout autre impression. Ils assimilent l'actuel président, et donc Kamala Harris, à l'inflation. Alors que l'économie constitue la première préoccupation des électeurs selon un sondage Gallup, la candidate doit compenser cette image, tenter de rassurer.
"Si elle perd, il pourra lui être reproché de ne pas s'être assez démarquée de Joe Biden. Elle pourrait pâtir des fois où interrogée sur ce qu'elle aurait fait de différent par rapport à lui, elle répond que '"rien ne lui vient à l'esprit'", estime Olivier Prudhomme. "Il aurait fallu qu'elle se présente comme quelqu'un de nouveau", ajoute-t-il.
Son dernier espoir? Que Donald Trump qu'elle décrit comme un homme "instable, obsédé par la vengeance, rongé par le ressentiment et en quête d'un pouvoir sans limites", effraie certains électeurs. Des paroles prononcées le 30 octobre depuis Washington, là où le candidat républicain avait harangué ses partisans le 6 janvier 2021, avant qu'ils ne partent à l'assaut du Capitole. Comme un dernier rappel de la part de la candidate démocrate du danger qui pèse sur la démocratie américaine.