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Un parc immobilier de 6 milliards d'euros pour le Qatar en France

par Lionel Laurent PARIS (Reuters) - Le Qatar s'est constitué un parc immobilier de plus de 6 milliards d'euros sur les dix dernières années en France dans le résidentiel très haut de gamme et les sites commerciaux ou touristiques de prestige à la faveur d'un régime fiscal dérogatoire, montrent des documents administratifs et juridiques consultés par Reuters. Une quarantaine d'actifs immobiliers acquis par l'émirat du Qatar en France soit en direct, soit au travers de son fonds souverain ou encore par le biais d'investissements réalisés en propre par des membres de la famille régnante al Thani ont ainsi été identifiés. L'émirat et son fonds souverain contrôle une dizaine de ses biens immobiliers pour une valeur totale de près de 3 milliards d'euros, selon les données compilées par Reuters. Un fond créé par l'ex-émir, cheikh Hamad ben Khalifa al Thani, qui a abdiqué en juin en faveur de son fils cheikh Tamin, en détient neuf et ses enfants, dont le nouvel émir, six. Les autres sont contrôlés soit par d'autres membres de la famille soit par des hommes d'affaires qui entretiennent des liens étroits avec la famille régnante comme Ghanim bin Saad al-Saad. L'ancien émir du Qatar s'est ainsi porté acquéreur du célèbre showroom Citroën des Champs-Elysées mis en vente par PSA, qui confronté à d'importantes difficultés financières, a cédé pour deux milliards d'actifs en 2012. Les Qataris bénéficient en France d'un régime fiscal dérogatoire controversé en vertu d'un accord bilatéral dont la dernière mouture remonte à 2008 et qui exempte d'imposition sous certaines conditions les plus values immobilières. Il s'agissait notamment pour Paris de proposer des conditions au moins aussi attractives que Londres à un moment où la crise financière avait exacerbé la concurrence pour attirer les investissements des pays exportateurs de pétrole et de gaz, enrichis par l'envolée des cours, soulignent plusieurs experts. "C'est grâce aux avantages fiscaux que les Qataris sont actuellement les seuls acheteurs sur le marché parisien", relève Pour sa part Philippe Chevalier, directeur chez Emile Garcin, l'un des spécialistes de l'immobilier de luxe. Les investissements qataris dans l'immobilier sont désormais pratiquement de même ampleur à Paris et à Londres, selon le cabinet d'études spécialisé Real Capital Analytics (RCA). "Ce que la convention fiscale a permis dans les faits c'est de mettre Paris et Londres sur un pied d'égalité, mais pas pour tout le monde", note John Forbes, un consultant immobilier installé à Londres. En dehors du Royaume-uni où tous les investisseurs étrangers bénéficient d'avantages comparables à ceux consentis aux Qataris par la France, seule l'Irlande leur offre depuis 2012 un régime équivalent, montre l'examen de plus d'une dizaine de conventions fiscales bilatérales de l'émirat. "Les exemptions... sont plutôt généreuses, même au regard de la norme des autres conventions fiscales signées par la France", souligne Charles Beer, directeur général du cabinet de consultants Alvarez & Marsal. "Ce niveau d'exemption est rare, pour ne pas dire inédit dans les conventions fiscales d'autres pays", poursuit-il. Pour le Syrien d'origine Guy Delbes, dirigeant de la société immobilière Elypont, qui gère plusieurs des actifs du fonds souverains qatari en France, les avantages fiscaux accordés à l'émirat sont comparables à ceux octroyés à d'autres pays du Golfe dans les années 80 et 90. "L'idée que le Qatar dispose d'avantages que d'autres pays n'ont pas est fausse". De fait, un rapport sénatorial de 2009 montrait que les entités publiques koweitiennes bénéficiaient aussi d'une exemption de la taxe sur les plus-values, tandis que l'Arabie saoudite avait obtenu des avantages comparables bien qu'un peu moins généreux. L'opacité des réseaux de compagnies holding utilisées pour acquérir et contrôler des actifs immobiliers en France par des non-résidents rend très difficile l'identification de l'ensemble des actifs détenus par un pays ou ses ressortissants. Sur la base de la liste des biens identifiés par Reuters comme étant détenus par des investisseurs qataris et des valorisations de marché à la fin de l'année dernière, le Trésor français se prive de quelques 150 millions d'euros de recettes fiscales potentielles. Cette estimation réalisée par Reuters et corroborée par trois experts immobiliers n'a pas été confirmée par les autorités françaises. "Les opérations exonérées ne sont pas déclarées à l'administration fiscale, qui n'en a donc pas connaissance. Il n'est donc pas possible de dire quel montant de l'impôt dû à la France a été exonéré depuis l'application de cette convention", a expliqué un porte-parole du ministère des Finances. Les autorités de l'émirat et son fonds souverain n'ont pas souhaité répondre aux questions de Reuters sur leurs investissements immobiliers en France. Marc Joanny pour le service français, édité par Wilfrid Exbrayat