Orange ou le succès de "l'extrême droite pragmatique"

par Marine Pennetier ORANGE, Vaucluse (Reuters) - Jacques Bompard se faufile entre les étals de produits régionaux, embrasse la poissonnière, serre les mains des habitués du café Le Mistral, parle météo et prête une oreille aux doléances et remarques glissées sur son passage. "Ça y est, vous commencez votre campagne?", lui demande un homme. "Elle a commencé depuis longtemps et il n'y a aucun risque", répond le maire d'Orange (Vaucluse) en s'offrant un bain de foule, à quatre mois des élections municipales qu'il devrait remporter pour la quatrième fois consécutive. A 70 ans, l'ancien élu Front national, qu'il a quitté pour fonder La Ligue du Sud, inspirée du parti populiste et anti-immigrés italien de la Ligue du Nord, semble avoir trouvé la martingale pour durer quand on est un élu d'extrême droite : un pragmatisme qui n'est pas toujours l'apanage de cette mouvance. Avec sa femme, Marie-Claude Bompard, élue en 2008 à Bollène (Vaucluse) et qui a fait parler d'elle pour avoir refusé de célébrer un mariage homosexuel, ils sont parmi les rares élus issus du Front national à être encore à la tête d'une mairie. "Les maires précédents promettaient mais ne faisaient jamais rien", commente Jacqueline, retraitée de 76 ans, assise aux côtés de son frère et d'une amie, au café Le Mistral. "La ville a complètement changé, en mieux, les routes ont été améliorées, les commerces ont repris, et tout est propre." Son amie acquiesce. "En 1995, la première fois quand il s'est présenté sous les couleurs du FN, je n'avais pas voté pour lui, puis j'ai vu que les impôts s'étaient stabilisés, alors j'ai voté pour lui aux élections qui ont suivi, pour l'homme, pas pour l'étiquette." BON PÈRE DE FAMILLE A l'heure où le FN ambitionne de relever "le défi de l'implantation locale" dans la lancée de son succès électoral cantonal enregistré à Brignoles, la recette Bompard ne laisse personne indifférent, à commencer par Marine Le Pen, dont le parti n'avait remporté aucune mairie en 2008. "Nous allons démontrer que nous sommes capables d'amener un mieux dans les villes, d'apporter plus de sécurité de rendre du pouvoir d'achat aux français par l'intermédiaire de la baisse des impôts, de gérer les villes en bon père de famille sans faire n'importe quoi avec l'argent public et en respectant les grandes valeurs républicaines auxquelles nous sommes attachés", a récemment déclaré la présidente du FN dans le cadre de l'émission "Tous Politiques". Sécurité, coup de pouce au pouvoir d'achat, baisse des impôts locaux, trois grandes lignes qui portent la marque de la politique prônée par Jacques Bompard depuis son arrivée en 1995 aux commandes de cette ville de 29.000 habitants. "Je crois que les électeurs attendent des hommes politiques qu'ils les servent, ça veut dire baisse des impôts, ne pas gaspiller l'argent, faire des choses utiles", souligne Jacques Bompard, assis dans son bureau de l'Assemblée nationale où il a été élu l'an dernier. "C'est une autre conception, c'est une autre philosophie, aujourd'hui l'élu est au service de son parti, moi je suis au service des citoyens." Elu une première fois sous les couleurs du FN, il est exclu en 2005 du bureau politique du parti de Jean-Marie Le Pen, à qui il reproche de négliger l'ancrage local au profit de ses ambitions nationales. Il rejoint le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers avant de lancer la Ligue du Sud avec le Bloc identitaire et d'anciens membres du FN. UNE VITRINE EN TROMPE-L'OEIL? Un portrait idyllique d'Orange, célèbre pour son théâtre antique classé au patrimoine mondial de l'Unesco, qui a le don d'agacer dans les rangs de l'opposition qui dénonce un double jeu de l'élu et une politique en trompe-l'oeil. "Jacques Bompard a construit une vitrine qui fait qu'un grand nombre d'Orangeois sont satisfaits de sa gestion", souligne Fabienne Halaoui, conseillère municipale Front de Gauche. "Quand on regarde l'envers du décor, on se rend compte qu'il mène une politique ultra libérale et remet en cause l'égalité, en remettant en cause des services à la population". Dans les quartiers défavorisés de Fourchevieille ou à l'Aygues, quelques jeunes au chômage parlent discrimination et promettent en rigolant de faire d'Orange le nouveau Marseille, où règne une violence endémique, pour faire taire "ces fachos." "ZÉRO ACTION SOCIALE" Au centre social de l'Aygues, sa présidente, Line Seguret, ancienne conseillère municipale sociale, ne décolère pas. "Sa politique touche de plein fouet les populations les plus défavorisées, rien n'a été fait en matière de développement économique", dit-elle en parlant d'absence d'action sociale. "Quand on met zéro argent dans les associations, on peut faire des économies, c'est vrai, on peut être un excellent gestionnaire", ironise-t-elle. "Avant, le centre aéré réunissait 300 enfants, il a supprimé le ramassage scolaire, résultat il ne reste que 80 enfants. Mais malgré ce bilan social désastreux, il peut espérer se maintenir au pouvoir grâce au clientélisme et aux fortes populations âgées". Pour Gilles Ivaldi, chercheur à l'université de Nice Sophia-Antipolis, la longévité de Jacques Bompard à Orange s'explique par sa gestion "plus pragmatique" que celle, "idéologique", mise en place par les FN Jean-Marie Le Chevallier à Toulon entre 1995 et 2001 et Catherine Mégret à Vitrolles entre 1997 et 2002. "L'idée, c'était de dire une municipalité FN, c'est une vitrine FN donc on va mettre en place cette politique au niveau local, ce qui s'est soldé par un échec parce que ces politiques se sont heurtées à des problèmes de légalité", explique-t-il ÉQUILIBRE Pour le chercheur, Jacques Bompard dure parce qu'il a trouvé "ce profil entre enfant du pays un peu bonhomme et quelqu'un qui a une culture d'extrême droite et qui la revendique." "Il a édulcoré les éléments les plus extrêmes de manière à ne plus attirer l'attention de la même façon qu'il l'a attirée au début de son premier mandat et pour pouvoir apparaître comme un maire acceptable et qui peut être réélu". Lors de ses premiers mandats, des actions avaient défrayé la chronique. Ses partisans avaient retiré des bibliothèques municipales des livres et des journaux "gauchistes". L'une des clefs de son succès réside dans son ancrage local et son réseau tissé année après année, un maillage territorial qui fait cruellement défaut au FN, relève Gilles Ivaldi en référence aux difficultés rencontrées par le FN pour recruter des cadres locaux dans un parti qui n'en compte guère. "Il n'ont pas de notables comme ça, de gens qui sont ancrés dans un territoire qui ont des relais, des réseaux, des amitiés, qui ont permis à Jacques Bompard de développer le clientélisme." Un clientélisme qui a valu à Jacques Bompard de se voir épinglé en octobre 2011 par la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) en raison d'irrégularités et de dépenses relevant d'un "usage à caractère familial". En octobre, il a également été renvoyé devant la justice dans une affaire de prise illégale d'intérêts commise au cours des années 2004 et 2005. Jacques Bompard nie toute malversation. "Pour être tout à fait honnête, je m'en passerais bien mais à vrai dire ça devrait me faire gagner des voix", assure l'élu, réélu au premier tour lors des précédentes municipales avec 60% des voix. "Les gens voient ça comme de la coercition contre moi et c'est toujours celui qui souffre qui est récompensé". Edité par Yves Clarisse