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Deuxième journée de frappes russes en Syrie, l'Iran s'active

par Vladimir Soldatkin et Laila Bassam MOSCOU/BEYROUTH (Reuters) - L'aviation russe a frappé jeudi pour la deuxième journée consécutive en Syrie où plusieurs centaines de soldats iraniens, indique-t-on de sources libanaises, ont pris position en vue d'une offensive au sol en soutien aux forces gouvernementales de Bachar al Assad. Les chasseurs russes ont mené des frappes contre une base aérienne tenue par les djihadistes de l'Etat islamique (EI) dans la province de Rakka, leur fief du nord de la Syrie, et dans le secteur de Daïr az Zour, également contrôlé par l'EI, mais aussi contre d'autres objectifs dans l'ouest tenus par des rebelles dont certains ont été formés et équipés par la CIA, rapporte la chaîne de télévision libanaise Al Mayadine, proche du pouvoir syrien. Les villes de Homs et de Hama ont notamment été visées. Cité par l'agence de presse RIA Novosti, un officier de l'armée de l'air russe a rapporté que l'analyse des données montrait que toutes les frappes qui ont été menées mercredi et jeudi concernaient uniquement des cibles de l'EI. Mais au siège new-yorkais des Nations unies, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a déclaré devant la presse que l'armée de l'air russe visait "l'EI et d'autres positions terroristes en coordination avec l'armée syrienne". Il a affirmé en revanche que l'Armée syrienne libre (ASL) n'était pas dans le viseur de l'intervention militaire, la première des Russes dans la région depuis des décennies. "L'objectif est vraiment d'aider les forces armées de Syrie dans leurs points faibles", a indiqué pour sa part le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, dans une définition plus large des cibles des Soukhoï russes. MOSCOU ET WASHINGTON FACE À FACE L'armée d'Assad est notamment en difficulté dans le nord-ouest du pays, dans la province d'Idlib, où les rebelles de l'Armée de la conquête, alliance de plusieurs composantes de l'insurrection syrienne, dont le Front al Nosra (affilié à Al Qaïda), mais pas l'Etat islamique, ont progressé depuis le début de l'année. Cette région commande l'accès aux zones côtières, coeur du pays alaouite d'Assad où se trouve aussi la base militaire de Tartous, utilisée par la marine russe. Les Etats-Unis et des rebelles syriens maintiennent pour leur part que l'EI est absente de l'essentiel des secteurs bombardés. Selon Hassan Hadj Ali, chef du groupe rebelle Lioua Soukour al Djabal, une brigade de l'ASL opérant dans les montagnes de Zaouïa, une vingtaine de missiles tirés lors de deux sorties russes ont touché jeudi un camp d'entraînement de son groupe dans la province d'Idlib. Ce groupe a été entraîné par la CIA au Qatar et en Arabie saoudite, dans le cadre d'un programme présenté par Washington comme le moyen de soutenir des groupes opposés tant à l'Etat islamique qu'au régime d'Assad. Pour la première fois depuis la Guerre froide, Moscou, qui dit lutter contre l'EI et soutenir Assad, et Washington, qui dit lutter à la fois contre l'EI et Assad, se retrouvent à soutenir des parties opposées dans un conflit au Moyen-Orient. Des officiers des deux pays se sont entretenus jeudi pendant une heure par visioconférence pour éviter tout incident alors que leurs aviations opèrent séparément dans le ciel syrien, a annoncé la Maison blanche. D'autres discussions auront lieu dans les prochains jours. L'IRAN SE PRÉPARERAIT À UNE OFFENSIVE AU SOL Dans un autre signe de l'internationalisation du conflit syrien, qui a déjà fait plus de 250.000 morts et déplacé des millions de personnes en quatre ans et demi, des sources libanaises ont affirmé jeudi à Reuters que les frappes aériennes russes allaient être prochainement suivies par une offensive au sol menée par les forces pro-gouvernementales syriennes et leurs alliés chiites iraniens et du Hezbollah libanais. Une avant-garde constituée de centaines de soldats iraniens est arrivée ces dix derniers jours en Syrie. "Il ne s'agit pas de conseillers mais de centaines de soldats avec leurs équipements et leurs armes", souligne-t-on. Les combattants du Hezbollah libanais, qui participent à la guerre aux côtés des forces gouvernementales, se préparent eux aussi à cette grande opération terrestre. "Il est possible que les prochaines opérations terrestres se concentrent sur les régions d'Idlib et d'Hama", a précisé une de ces deux sources. La décision de la Russie d'entrer en guerre au côté d'Assad, de même que l'implication militaire accrue de l'Iran ainsi qu'elle se dessine, pourraient constituer un tournant dans le conflit syrien dans lequel les Etats-Unis et la coalition rassemblée autour d'eux opèrent déjà depuis un an. "La solution échappe désormais aux Syriens", a constaté Sipan Hemo, le chef de la milice kurde syrienne YPG qui a chassé les djihadistes de l'EI de certaines portions du territoire syrien cette année, notamment à Kobani. Dans des déclarations faites à l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) à la veille des premières frappes russes mais diffusées jeudi, il ajoutait que le conflit ressemblait désormais "à une Troisième Guerre mondiale, où les grandes puissances s'affrontent pour la répartition de zones d'influence". (avec Sylvia Westall et Tom Perry à Beyrouth, Andrew Osborn et Lidia Kelly à Moscou et Michelle Nichols aux Nations unies; Pierre Sérisier, Danielle Rouquié et Henri-Pierre André pour le service français, édité par Guy Kerivel)