Le gouvernement égyptien démissionne, Tahrir s'embrase à nouveau

LE CAIRE (Reuters) - Pour la troisième journée consécutive, policiers et manifestants réclamant le départ du pouvoir de l'armée se sont affrontés lundi sur la place Tahrir du Caire sur fond de crise politique avec la démission du gouvernement intérimaire. Ces violences, qui rappellent le pire de la "révolution du Nil", ont fait au moins 33 morts. Vers minuit, quelque 20.000 personnes restaient massées sur cette place, haut lieu de la contestation anti-Moubarak, avec des milliers d'autres dans les rues adjacentes. "Le peuple veut la chute du maréchal !", scandait la foule en visant le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, ministre de la Défense du "raïs" déchu pendant une vingtaine d'années avant de prendre les rênes du Conseil suprême des forces armées (CSFA) au pouvoir depuis le départ de Hosni Moubarak. En fin de soirée, le CSFA a publié un communiqué appelant au calme et invitant les forces politiques à des discussions de crise pour trouver une porte de sortie. Les généraux font part de leur "profond regret pour les victimes des ces incidents malheureux", indique l'agence de presse officielle Mena. "Nous appelons toutes les composantes de la nation à faire preuve de la plus grande retenue de manière à éviter de nouvelles victimes", a ajouté l'armée. Le Conseil militaire ne précise pas en revanche s'il a accepté la démission du gouvernement intérimaire, présentée dimanche. D'après une source militaire, le CSFA s'efforcerait de trouver un accord sur le nom d'un nouveau Premier ministre. La démission de tous les membres du cabinet porte un coup sévère à l'autorité du Conseil militaire. L'embrasement de la place Tahrir intervient une semaine avant le début des élections législatives le 28 novembre, premier scrutin de l'après-Moubarak. La morgue du principal hôpital du Caire a reçu 33 corps depuis samedi. Au moins 1.250 personnes ont été blessées, dit-on au ministère de la Santé. Les autorités affirment que la police n'a pas ouvert le feu sur les manifestants mais la plupart des cadavres à la morgue ont des impacts de balles, selon une source médicale. "Le régime militaire est mort, est mort", crient les manifestants. "Liberté, liberté !" entend-on aussi. D'autres slogans visent le maréchal Hussein Tantaoui, qui fut pendant vingt ans le ministre de la Défense de Moubarak et préside le CSFA. CLIMAT D'INSÉCURITÉ Lundi, l'armée a assuré qu'elle ne prenait pas parti entre les manifestants et la police et qu'elle n'avait pas tenté d'évacuer les manifestants de la place Tahrir. Le ministère de l'Intérieur a demandé la protection de l'armée et une protection similaire peut être offerte aux manifestants, a dit le général Saïd Abbas, adjoint au chef du Commandement central. (voir ) "J'ai vu la police frapper des femmes qui avaient l'âge de ma mère. Je veux la fin de ce régime militaire", a dit Mohamed Gamal, 21 ans. Une partie des Egyptiens est opposée à ces manifestations, souhaitant le retour à la stabilité compte tenu de l'état de délabrement de l'économie. D'autres Egyptiens, dont les islamistes favoris des élections, soupçonnent l'armée d'entretenir un climat d'insécurité pour rester en place. L'armée assure que ces violences n'empêcheront pas l'organisation de la première phase des élections législatives. Les généraux comptent conserver l'essentiel du pouvoir jusqu'à la désignation au scrutin direct du prochain président, qui pourrait ne pas intervenir avant la fin de l'année prochaine ou début 2013. "PRATIQUES DE L'ANCIEN RÉGIME" Les forces de l'ordre ont effacé d'internet des vidéos, dont l'authenticité n'a pu être vérifiée, montrant des policiers frappant les manifestants, les traînant par les cheveux et, dans un cas, jetant sur un tas d'ordures ce qui semble être un cadavre. Le Mouvement du 6-Avril, à l'avant-garde de la contestation contre le régime de Moubarak, a dit à l'agence Mena que l'occupation de la place Tahrir se poursuivrait tant que ses exigences n'auraient pas été acceptées. Il réclame notamment la tenue de l'élection présidentielle d'ici avril prochain et la constitution d'un gouvernement de salut national en lieu et place du CSFA. Mohamed ElBaradeï et Abdallah al Achaal, candidats potentiels à la présidentielle, ont aussi réclamé la formation d'un gouvernement de salut national, rapporte l'agence Mena. Les Frères musulmans, dont le parti est favori des élections, ont condamné l'intervention des forces de sécurité au Caire même si eux-mêmes s'étaient auparavant retiré de la place Tahrir. "Cela rappelle les pratiques du ministère de l'Intérieur de l'ancien régime", disent-ils dans un communiqué. Le secrétaire au Foreign Office, William Hague, a déclaré que l'Egypte vivait "un moment dangereux" tandis que Ban Ki-moon, secrétaire général de l'Onu, a appelé les autorités de transition "(...) à garantir la défense des droits de l'homme et des libertés individuelles pour tous les Egyptiens, y compris le droit à manifester dans le calme". Catherine Ashton, porte-parole de la diplomatie européenne, a lancé un appel à la retenue et annoncé que l'UE était prête à envoyer des observateurs pour le scrutin du 28 novembre. Avec Mawa Awad, Jean-Philippe Lefief, Clément Guillou et Jean-Loup Fiévet pour le service français