Publicité

La Suède s'interroge sur ses écoles privées

Vingt ans après le lancement d'un programme de privatisation partielle des écoles secondaires, la Suède s'interroge sur le bien-fondé d'une telle politique, marquée par la faillite de nombreux établissements et la baisse du niveau des élèves. /Photo d'archives/REUTERS/Susana Vera

par Niklas Pollard STOCKHOLM (Reuters) - Vingt ans après le lancement d'un programme de privatisation partielle des écoles secondaires, la Suède s'interroge sur le bien-fondé d'une telle politique, marquée par la faillite de nombreux établissements et la baisse du niveau des élèves. Au début des années 1990, l'Etat a fourni aux parents des bons finançant l'inscription de leur enfant dans les premiers collèges privés du pays, autorisés par ailleurs à faire des bénéfices. Le système, inédit à l'époque en Europe, a depuis fait école, notamment en Grande-Bretagne. Mais aujourd'hui, le bilan financier et éducatif de ces établissements fait débat en Suède, après la faillite proclamée de plusieurs d'entre eux dont celle, spectaculaire, de JB Education, une école secondaire propriété de l'entreprise Axcel et qui accueillait 11.000 élèves. "Je pense que dans notre aveuglement, nous avons beaucoup trop cru que davantage d'écoles privées signifierait un meilleur niveau d'éducation", a reconnu récemment Tomas Tobe, président de la commission de l'Education au parlement et chef de file du Parti du rassemblement modéré, pivot de la coalition au pouvoir. Un quart des établissements scolaires du secondaire sont désormais privés dans le pays, et financés en partie par des fonds publics, soit le double de la moyenne observée dans l'ensemble des pays industrialisés. Près de la moitié de ces établissements sont la propriété partielle ou totale d'entreprises, qui peuvent en tirer des bénéfices. Les Verts, longtemps partisans eux aussi de la privatisation, ont battu leur coulpe le mois dernier dans une tribune publiée par un grand quotidien sous le titre "Pardonnez-nous, notre politique a fait dériver nos écoles". INSOLVABILITÉ La faillite de JB Education, qui laisse une ardoise d'un milliard de couronnes (111 millions d'euros) et un millier d'enseignants au chômage, n'est pas une exception. Des dizaines d'autres établissements ont ainsi connu des revers de fortune. En outre, un collège suédois sur quatre perd de l'argent et le risque d'insolvabilité a augmenté de 188% depuis 2008, selon UC, une firme d'informations sur le crédit aux entreprises. Ces difficultés financières trouvent aussi leur source dans la démographie. Le nombre d'élèves dans le secondaire est en baisse et ne devrait retrouver ses niveaux de fréquentation passés que dans une génération au mieux. La situation actuelle s'explique aussi par la dérégulation totale intervenue depuis vingt ans. La Suède est passée ainsi en quelques années d'une structure étatique très rigide à un laxisme autorisant tout, ou presque. Un homme condamné pour pédophilie avait pu ainsi ouvrir plusieurs écoles sans enquête préalable des autorités de tutelle. "J'ai souvent dit qu'il était plus facile d'ouvrir une école indépendante qu'une baraque à hot dogs. Quand on incite à la liberté de choix, on perd de vue le contrôle de la qualité", souligne Eva-Lis Siren, secrétaire générale de Lararforbundet, le principal syndicat enseignant. Selon une étude de l'Agence nationale pour l'éducation, un institut public, un élève de 15 ans sur quatre n'est pas capable de comprendre un texte factuel de base. "A mon sens, cela n'a pas seulement un impact sur le statut de la Suède en tant que nation détentrice de savoir. Cela agit aussi sur l'évolution de la démocratie", juge la directrice de l'Agence, Anna Ekstrom. ENSEIGNANTS SANS DIPLÔME L'an dernier, les inspecteurs de l'Education nationale ont reproché à JB Education de ne pas agir suffisamment en faveur de la qualité de l'enseignement et de se contenter de faire passer les examens aux élèves. Ils ont aussi dénoncé le mode de fonctionnement de Praktiska Sverige, qui accueille plus de 5.000 élèves dans ses établissements et engage des enseignants sans diplôme en CDD tout en réduisant le nombre de bibliothèques scolaires à sa plus simple expression La durée d'engagement des entreprises dans un projet d'école fait également débat. Le ministre de l'Education, Jan Björklund (centre-droit), va présenter un projet de loi obligeant les investisseurs potentiels à s'impliquer pendant au moins dix ans, alors que nombre d'entre eux misent un projet à cinq ou sept ans. Les dirigeants politiques suédois, dans leur majorité, n'envisagent pas de revenir au système éducatif d'antan, dans lequel parents et enfants n'avaient pratiquement aucun choix. Mais un récent sondage montre que 58% des Suédois souhaitent que les entreprises privées investissant dans l'école ne puissent légalement pas faire de bénéfices. Les dérives rencontrées dans le milieu éducatif incitent par ailleurs les politiques à s'interroger sur le rôle trop important joué par le marché libre dans d'autres secteurs d'activité. Jan Björklund propose ainsi que les entreprises privées soient interdites dans le domaine de la santé, y compris dans l'accueil et les soins aux personnes âgées. Pascal Liétout pour le service français, édité par Henri-Pierre André