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La prudence d'Obama sur le Proche-Orient inquiète ses alliés

par Matt Spetalnick WASHINGTON (Reuters) - L'ouverture diplomatique de Barack Obama vers l'Iran et son refus de dernière minute d'attaquer la Syrie font se demander aux alliés des Etats-Unis au Proche-Orient si le président n'est pas en train de leur tourner le dos pour éviter de se retrouver entraîné plus avant dans une région qu'il saisit mal. Cette semaine, le chef des services de renseignement saoudiens a déclaré devant des diplomates européens que son pays allait "prendre ses distances" avec les Etats-Unis en raison de leur passivité à l'égard de la situation en Syrie et de leur détente apparente avec son vieil ennemi l'Iran. Le prince Bandar a jugé que les Etats-Unis restaient impuissants face au conflit israélo-palestinien et qu'ils auraient dû soutenir l'Arabie saoudite lorsque cette dernière est intervenue à Bahreïn pour y réprimer des manifestations en 2011, dit-on de source proche du pouvoir saoudien. Quant aux Israéliens, ils craignent que Barack Obama manque de fermeté dans les négociations avec l'Iran sur son programme nucléaire et qu'il ne refuse une attaque militaire de l'Iran, comme il l'a fait à l'encontre de la Syrie après l'attaque chimique du 21 août dernier près de Damas. Après avoir menacé le régime de Damas de frappes aériennes, les Etats-Unis ont finalement conclu un compromis avec la Russie pour organiser la destruction de l'arsenal chimique syrien. "Les Etats-Unis ont beaucoup écorné leur image en n'attaquant pas la Syrie", commente un diplomate israélien à Jérusalem. A ceux, amis ou ennemis, qui insinuent qu'elle n'aurait pas le courage d'utiliser la force au Proche-Orient, la Maison blanche rappelle sa participation à l'opération multinationale qui a permis le renversement du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi en 2011. "C'EST LE BAZAR" Les autorités américaines soulignent qu'il ne faut pas sous-estimer la volonté de Barack Obama d'utiliser l'option militaire contre l'Iran pour l'empêcher d'obtenir l'arme nucléaire. "Ce n'est pas comme si on avait un président qui aurait montré sa réticence à agir quand il y allait de notre intérêt, mais il ne va pas non plus agir quand il ne pense pas que c'est de notre intérêt", commente Ben Rhodes, conseiller adjoint du président à la sécurité. Il rappelle que les Etats-Unis n'amorceront pas une levée des sanctions contre l'Iran tant que Téhéran n'aura pas montré de réels progrès dans les négociations sur le nucléaire. Mais Barack Obama résistera aux pressions de l'Arabie saoudite qui le voudrait plus actif en Syrie où les rebelles qui luttent contre le président Bachar al Assad sont de plus en plus sous l'emprise des islamistes, pour certains liés à Al Qaïda. Barack Obama est très inquiet d'une implication militaire des Etats-Unis au Proche-Orient qui serait sans limite. Cette prudence, explique Ben Rhodes, vient notamment de l'expérience américaine en Irak où le glissement du pays dans la violence confessionnelle et le chaos politique "a démontré les limites de notre influence". "Nous avions une armée d'occupation de 150.000 personnes dans le pays et nous n'avons pas été capables de dicter les événements dans ce pays les années qui ont suivi", dit-il. D'autant que la circonspection de Barack Obama est le reflet de la société américaine en général. D'après un sondage Reuters/Ipsos d'octobre, une intervention américaine en Syrie ne serait soutenue que par 13% des Américains. "Pour le président, le Proche-Orient semble une sorte de corvée", commente Elliott Abrams, conseiller en politique étrangère sous le prédécesseur républicain de Barack Obama, George W. Bush, et habituel critique du président démocrate. Barack Obama, dit-il, en est venu à la conclusion que le Proche-Orient "c'est le bazar", et qu'il vaut mieux limiter les interventions militaires aux frappes de drones comme c'est le cas au Pakistan, au Yémen et en Somalie. "FAIRE PEUR AUX AMÉRICAINS" L'Arabie saoudite, qui n'a toujours pas digéré la volte-face américaine dans le dossier syrien, a décidé de monter au créneau. Elle a notamment fait connaître son intention de ne pas siéger au Conseil de sécurité des Nations unies. "Ce que nous sommes en train de faire est de faire peur aux Américains pour qu'ils se réveillent. Ils ne peuvent nous faire des promesses et ensuite ne pas les tenir. Cela va leur coûter cher", commente un analyste saoudien proche de la façon de penser des dirigeants du royaume wahhabite. Pour l'instant, il n'y a pas de signe de la volonté de Ryad de réduire ou supprimer la présence américaine sur son sol, qui comprend notamment une base utilisée pour envoyer des drones contre des activistes au Yémen voisin. Si elle décidait de passer à l'acte, l'Arabie saoudite pourrait par exemple être moins encline à compenser la baisse du pétrole en provenance d'Iran conséquence des sanctions internationales contre Téhéran. Avec des conséquences possibles sur le niveau des prix pétroliers. Ryad pourrait aussi fournir des armes plus sophistiquées aux islamistes radicaux qui cherchent à renverser Bachar al Assad en Syrie et leur donner un avantage militaire sur les rebelles plus modérés soutenus par les pays occidentaux. Un diplomate européen se dit également inquiet des répercussions liées aux pratiques d'espionnage et de surveillance prêtées à la National Security Agency (NSA) ainsi que des perturbations apportées au niveau domestique par les différends budgétaires récurrents avec les républicains. "La politique étrangère américaine est dans de graves difficultés, pas seulement à cause de la NSA", dit-il. Le fait qu'Obama n'ait pu se rendre en Asie en raison de problèmes intérieurs à laissé une impression désastreuse dans certains pays de l'Asean où la Chine est en train d'accroître son influence", ajoute-t-il à propos de l'annulation par Barack Obama d'un voyage en Asie du Sud-Est en raison du "shutdown". Danielle Rouquié pour le service français