La "Nuit de cristal" commémorée en Allemagne et en Autriche

par Georgina Prodhan VIENNE (Reuters) - L'Allemagne et l'Autriche commémorent ce week-end la sanglante "nuit de cristal", le déchaînement de violence contre les Juifs qui embrasa la plupart des villes des deux pays dans la nuit du 9 novembre au 10 novembre 1938, un devoir de mémoire alors que les témoins de ces faits sont de moins en moins nombreux. Lilly Drukker avait 11 ans quand deux nazis en uniforme ont fait irruption dans l'appartement de sa famille à Vienne, au lendemain de la tragique nuit, qui restera comme le signal donné par Adolf Hitler à la persécution des Juifs. "Les deux nazis nous ont regardés et après un moment - c'était le 10 novembre, il faisait froid dehors - ils ont dit à mon père de prendre son chapeau. Ils lui ont dit : Vous venez avec nous, raconte Lilly Drukker à Reuters en visite à Vienne. Elle vit aujourd'hui à Philadelphie. "Par la fenêtre, nous les avons vu sortir de l'immeuble et pousser mon père sur le siège arrière de la voiture qui était garée devant et partir", dit-elle encore. "Nous ne savons pas où ils l'emmenaient ni ce qui se passait. Il y avait des rumeurs." Le père, violoniste à l'orchestre philharmonique de Vienne avant d'être poussé vers la sortie au début de 1938, fut conduit au camp de concentration de Dachau en Bavière. Lors de la Nuit de cristal, une centaine de Juifs ont été assassinés, des centaines de synagogues incendiées et des milliers de commerces saccagés et leurs vitres brisées, d'où le nom porté par cet événement qui marque le début de la Shoah. Le 75e anniversaire de ce pogrom est marqué par de nombreuses cérémonies, notamment à Vienne et à Berlin. Mais la nature du souvenir se modifie. L'heure n'est plus à la recherche des coupables et à leur traduction en justice, mais à l'éducation des nouvelles générations alors que les événements s'estompent dans les mémoires. "Le temps passe, c'est évident. Ce n'est pas comme il y a quelques années. Il faut tenir compte du fait que les survivants sont en train de disparaître", souligne Beate Klarsfeld, qui, avec son mari Serge, a traqué sans relâche les criminels nazis. AMBIVALENCE Beate Klarsfeld, qui est âgée de 78 ans, a été invitée à Vienne pour s'exprimer à l'inauguration d'une exposition sur l'Holocauste à destination des élèves, en présence d'un ministre et de diverses personnalités, dont le responsable de la communauté juive d'Autriche. Mais l'exposition est confinée au sous-sol d'un théâtre juif du quartier de Leopoldstadt "Je pense que c'est important, mais c'est une honte que ce soit au sous-sol", a déclaré Ari Rath, qui a fui Vienne en 1938 alors qu'il était encore enfant. Il a été de nombreuses années journaliste au Jerusalem Post en Israël avant de reprendre la nationalité autrichienne en 2007. Ce fait est significatif de l'ambivalence qui prévaut en ce qui concerne le souvenir des atrocités nazies, notamment en Autriche, dont la population était largement favorable à l'Anschluss (annexion par l'Allemagne nazie) en 1938 mais qui a passé de longues années par la suite à se décrire comme la première victime d'Adolf Hitler. Et tandis que les gouvernements s'appliquent à ne pas laisser les faits sombrer dans l'oubli au nom du devoir de mémoire, les associations juives mettent en garde contre une sorte d'indifférence des populations. Dans un rapport publié vendredi par l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, plus de la moitié des quelque 5.800 Juifs de huit pays interrogés pour cette enquête disent avoir entendu dire, ou vu quelqu'un dire, que la Shoah était un mythe ou avait été exagérée. Le rabbin de New York Marc Schneier, descendant de Juifs viennois, a appelé à la solidarité avec d'autres minorités lors d'une visite à Vienne cette semaine. "S'il y avait eu ce genre d'alliances il y a 75 ans, cela aurait été une histoire, très, très différente", a-t-il déclaré à Reuters avant une cérémonie de commémoration de la Nuit de cristal au parlement autrichien. Le père de Lilly Drukker, Josef Geringer, fut libéré de Dachau grâce à l'intervention d'un influent ami de l'orchestre, qui n'était pas juif. La petite Lilly Drukker réussit à rejoindre Londres avec d'autres enfants et finit par rejoindre sa famille aux Etats-Unis. Danielle Rouquié pour le service français, édité par Eric Faye