La Libye loin encore d'une partition du territoire

par Suleiman Al-Khalidi TRIPOLI (Reuters) - La situation en Libye, aussi chaotique paraisse-t-elle avec une production pétrolière très perturbée dans l'Est par des revendications locales, semble encore loin de déboucher sur une éventuelle scission. Ou d'une issue à l'irakienne, avec partage des revenus pétroliers entre le pouvoir central et un Kurdistan autonome. L'assaut mené au cours du week-end à Tripoli par des forces spéciales américaines, qui y ont capturé un responsable du réseau Al Qaïda, souligne le manque d'influence du gouvernement central du Premier ministre Ali Zeidan, et l'aubaine que cela représente pour des organisations djihadistes. En Cyrénaïque, la région orientale du pays, des groupes armés ont pris le contrôle cet été des principaux ports destinés à l'exportation du pétrole. La ville de Benghazi, berceau de la révolution contre l'ancien dirigeant Mouammar Kadhafi, a mis en place son propre conseil afin de mener une politique autonome. "Le gouvernement et le congrès exploitent les ressources de la Libye, et les utilisent pour servir leurs intérêts", accuse Ibrahim al Jathran, un ancien responsable de la sécurité des terminaux, qui s'est retourné contre Tripoli et se présente désormais comme un héraut du camp dit "fédéraliste". À plus de mille kilomètres au sud, dans la province du Fezzan, près de la frontière avec l'Algérie, plusieurs chefs de tribu se sont réunis le mois dernier pour déclarer leur sécession du gouvernement central. Néanmoins, la majorité des analystes jugent peu significatives sur le plan politique les velléités exprimées dans deux des trois provinces libyennes. La troisième est celle de la capitale, la Tripolitaine. CHANTAGE Les revendications d'autonomie ou de sécession, disent-ils, sont avant tout des outils de chantage pour certains groupes isolés, et manquent d'un réel soutien populaire pour aboutir à une situation comme celle de l'Irak, où le Kurdistan dispose d'une administration et d'une armée propres. "Les Kurdes sont majoritaires au Kurdistan", souligne Hadi Belazi, directeur de Petro Libya, un groupe de services pétroliers basé à Tripoli. "En Libye, que ce soit dans le Sud ou l'Est, ce sont de petits groupes qui demandent l'autonomie. Dans certains cas, 10 ou 15 personnes suffisent à bloquer un oléoduc, ce qui (...) ne constitue même pas une tribu entière." Les fédéralistes, qui se référent à un partage du pouvoir réalisé en 1951 entre les trois provinces, bien avant l'arrivée au pouvoir de Mouammar Kadhafi en 1969, bénéficient surtout de la faiblesse du gouvernement central. Celui-ci n'a jamais réussi à imposer son influence, notamment sur les ressources pétrolières et gazières, depuis la révolution à l'origine de la chute et de la mort de l'ancien dirigeant en 2011. Les groupes rebelles "tentent d'utiliser ce pouvoir comme moyen de pression", explique Claudia Gazzani de l'International Crisis Group. "Ils veulent perturber le processus politique actuel et, dans ce but, ils menacent de faire sécession." COMME LE NIGERIA ? Plutôt que l'exemple irakien, certains analystes comparent la situation de la Libye, qui doit encore se doter d'une Constitution, à celle du Nigeria, où des militants du Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND) attaquent des installations pétrolières et enlèvent des employés étrangers. Toutefois, les spécialistes de la Libye relativisent le plus souvent le pouvoir de nuisance que représente le contrôle des terminaux pétroliers par des rebelles comme Ibrahim al Jathran, même si Tripoli prend la situation suffisamment au sérieux pour les avoir menacés d'une intervention de l'armée. "Jathran et ses hommes ne pourront pas vendre de pétrole, personne n'est intéressé", estime John Hamilton de CBI, un cabinet d'analystes spécialiste des questions énergétiques africaines. "De telles exportations porteraient la marque de pétrole volé à la Libye." Avec Ghaith Shennabi à Tripoli et Patrick Markey à Tunis, Julien Dury pour le service français, édité par Gilles Trequesser