La ceinture de platine sud-africaine durement touchée par la grève

par Zandi Shabalala et John Mkhize MARIKANA Afrique du Sud (Reuters) - La boutique d'électronique de Shad Mohammed a survécu à de nombreux mouvements sociaux depuis qu'elle a ouvert ses portes il y a quatorze ans dans la ville de Marikana, en plein coeur de la ceinture de platine sud-africaine. Mais la grève actuelle des mineurs, qui en est à sa dixième semaine, est particulièrement dévastatrice pour ses affaires. Il n'a vendu que dix téléphones portables contre plus de cent habituellement et s'est reconverti dans un service de livraison pour éviter de tout abandonner et de retourner dans son Pakistan natal. "Mon commerce est totalement dépendant des mineurs", dit cet homme de 38 ans, cerné de téléphones, d'ordinateurs et d'appareils électroménagers. "Quand ils ne travaillent pas, on souffre vraiment." Les adhérents du syndicat AMCU (Association of Mineworkers and Construction Union) se sont mis en grève en janvier dans les mines de platine du groupe Lonmin, principal employeur à Marikana, et de ses concurrents Anglo American Platinum et Impala Platinum pour réclamer une hausse des salaires. Le mouvement, qui affecte 40% de la production mondiale de ce métal utilisé notamment dans l'industrie automobile, semble bien parti pour s'éterniser, aucun terrain d'entente n'ayant pu être trouvé pour l'heure entre le syndicat et les employeurs. Avec quelque 100.000 adhérents, l'AMCU est majoritaire dans la ceinture de platine, à 120 km au nord-ouest de Johannesburg. Le syndicat réclame un salaire de base de 12.500 rands (875 euros) par mois, ou des hausses annuelles de 30%, alors que les groupes miniers proposent une hausse maximale de 9%. Les trois entreprises ont invoqué la force majeure, ce qui leur permet juridiquement de suspendre leurs paiements et leurs livraisons en raison de circonstances échappant à leur contrôle. DES ÉPICERIES VIDES La grève, l'une des plus vastes de l'histoire récente de l'Afrique du Sud, a déjà coûté aux entreprises et aux mineurs 17 milliards de rands (1,16 milliard d'euros) en recettes et en salaires, selon un décompte constamment mis à jour par un site du secteur. La banque centrale a déclaré la semaine dernière que la poursuite du mouvement menaçait la croissance nationale, désormais prévue à 2,6% pour 2014 contre 2,8% auparavant. La grève a aussi transformé des villes minières habituellement bruissantes d'activité en villes fantômes. Dans les rues étroites et boueuses de Nkaneng, un quartier de Marikana, de petits groupes d'hommes se tiennent en cercles, certains portant un bleu de travail et les tee-shirts verts au nom de l'AMCU. Daniel Waza, qui tient une épicerie, un "spaza shop", est assis sur des caisses vides, là où d'ordinaire étaient alignés ses fruits et légumes. "On ne peut même plus vendre de produits frais. Il n'y a personne pour acheter la nourriture. Les gens sont repartis chez eux ou n'ont pas d'argent", explique-t-il. Quand Daniel Waza dit "chez eux", il veut parler des villages ruraux situées à des centaines de kilomètres plus au sud, comme dans la province du Cap-Oriental, d'où proviennent un tiers des employés de Lonmin. D'autres viennent de pays voisins comme le Lesotho ou le Mozambique. Beaucoup de spaza shops acceptent aujourd'hui de servir du pain ou du maïs à crédit. Shad Mohammed, lui, arrive tout juste à gagner suffisamment pour couvrir ses 10.000 rands de loyer mensuel et les frais de scolarité de ses enfants restés au Pakistan, mais la grève favorise les vols, ce qui l'inquiète. "La criminalité est vraiment forte dans le secteur aujourd'hui", dit-il, montrant un trou dans le plafond de son magasin par lequel un voleur s'est introduit récemment. "On a vu les images de vidéosurveillance (...) En 45 secondes, il a pris huit ordinateurs portables et il est reparti par le toit." (Jean-Stéphane Brosse pour le service français)