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Egypte: à Port-Saïd, la population veut chasser une police honnie

A Port-Saïd, ville du nord-est de l'Egypte où s'affrontent depuis des semaines manifestants et forces de l'ordre, la haine de la police est telle que des habitants disent vouloir s'en débarrasser, certains appelant même l'armée à la remplacer. Dans un jardin public, des habitants ont décidé de monter leur propre service de sécurité, avec un "poste de police populaire" de fortune. "Ce n'est peut-être pas un vrai commissariat, mais cela montre notre ressentiment" envers une police traditionnelle déconsidérée, affirme Mohammed Hachem, un ingénieur de 40 ans. "Jusqu'à présent nous avons établi 480 rapports, nous nous occupons de la circulation et nous apportons à la population ce que la police ne lui fournit pas: la sécurité", poursuit Mohammed Ali, 33 ans. Cherchant manifestement à apaiser la population, le pouvoir a fait savoir mercredi que le chef de la sécurité de la ville, Mohsen Radi, avait été relevé de ses fonctions et rappelé au Caire. Comme partout en Egypte les tensions entre la population et la police -pilier du régime répressif du président déchu Hosni Moubarak- remontent à longtemps. Mais à Port-Saïd, l'hostilité est particulièrement exacerbée depuis un match de football l'an dernier dans le stade de la ville, à l'issue duquel 70 personnes, principalement des supporteurs du club rival Al-Ahly, du Caire, ont été tuées. Nombreux sont ceux qui accusent des policiers liés à l'ancien régime ou des partisans du président renversé, d'avoir orchestré le drame afin d'aggraver le climat d'instabilité dans le pays. Près d'un an après la tragédie, en janvier dernier, 21 personnes, en majorité des supporteurs du club de Port-Saïd, ont été condamnées à mort pour cette affaire. Le verdict a mis le feu aux poudres à Port-Saïd, où la population a le sentiment que ce jugement fait de la ville le bouc émissaire de la tragédie. De premiers affrontements font alors une quarantaine de morts. La tension est remontée dimanche après l'annonce du transfert hors de la ville de 39 personnes détenues à Port-Saïd, qui doivent comparaître dans le cadre de la deuxième partie de ce procès, dont le verdict est attendu samedi au Caire. Six personnes, dont trois policiers, ont été tuées dans des affrontements entre dimanche et lundi. La police cristallise la rancoeur de la population, dans un climat de contestation du président islamiste Mohamed Morsi et de difficultés économiques croissantes. "Nous ne nous sentons pas en sécurité avec la police ici. Elle protège ses intérêts, pas ceux des citoyens", affirme un habitant, au milieu d'une petite foule qui brandit les douilles de grenades lacrymogènes et de cartouches de chevrotine tirées contre les manifestants. "La police nous traite avec mépris depuis des années. Elle nous provoque pour déclencher des violences", assure Hassan Saber, 62 ans, qui tient une boutique proche d'un immeuble des services de sécurité dévasté par un incendie. "Le gouvernement et le ministère de l'Intérieur sont coalisés contre nous. Nous lançons des pierres et on nous répond avec des balles", s'indigne Ibrahim el-Sayyed, 56 ans. Certains souhaiteraient voir les militaires remplacer la police détestée, et des pétitions ont même circulé pour cela. A l'entrée de la ville, une grande banderole proclame "Bienvenue à l'armée". "Seule l'armée peut prendre la ville en charge, parce que nous avons perdu complètement confiance dans le président et son ministre de l'Intérieur", affirme Mohammed Adel, 34 ans. Mais d'autres se souviennent de la difficile période de transition du pays sous direction militaire, elle aussi marquée par des violences, qui a suivi pendant près d'un an et demi la chute de Hosni Moubarak. "L'armée ne sera pas bien différente de la police", redoute Ahmed al-Arabi, 24 ans.