Covid-19 : le quotidien éprouvant des détenus, confinés en prison sans parloir ni activité

Pendant les 2 mois de confinement, le quotidien des prisonniers français a été particulièrement éprouvant

Alors que les Français retrouvent progressivement leur "liberté" avec la fin du confinement, qu'en est-il des prisonniers, enfermés depuis deux mois dans leurs 9m² sans parloir ni activité ? Comment la crise sanitaire a-t-elle été vécue dans les cellules ? Peut-on s'attendre à une amélioration des conditions de détention à partir de ce lundi 11 mai ? Des avocats nous répondent.

Le 11 mai est arrivé, et avec cette date symbolique, la possibilité pour tous les Français de retrouver leur "liberté". De liberté, il n'en sera toujours pas question pour les 60 000 prisonniers français, qui vivent depuis 2 mois un "confinement dans le confinement", dans des conditions de détention extrêmement strictes. En effet, pour éviter une hécatombe de Covid-19 dans les 188 établissements pénitentiaires français, le ministère de la Justice a décidé mi-mars de suspendre les parloirs, ainsi que les activités des détenus. "Les promenades et les accès aux terrains ou salles de sport ont également été considérablement réduits", rappelle Delphine Boesel, avocate au barreau de Paris et présidente de l'OIP (Observatoire international des prisons).

1 à 2 mètres carrés d’espace vital dans certains établissements

Après ces mesures douloureuses, qui ont provoqué de nombreuses mutineries dans une quarantaine de prisons, de Marseille à Uzerche en passant par Nanterre, Tarascon, Grasse ou Draguignan, le ministère de la Justice a également fait part de son projet de relâcher 10 000 détenus durant l'épidémie. Au total, dans les faits, 5000 ont été réellement libérés, et 5000 ont évité la prison. Ainsi, selon la ministre Nicole Belloubet, la barre symbolique de "100% de remplissage" a pu être franchie début mai. "On ne peut pas nier qu'il y a une réduction du nombre de détenus, confirme Delphine Boesel. Cependant, dans certains établissements, les prisonniers se sont retrouvés à deux par cellule et en région parisienne, certaines maisons d'arrêt comme Bois d'Arcy ont toujours des taux d'occupation de 140%".

Deux par cellule, c'est encore beaucoup trop, mais c'est toujours mieux que trois ou quatre, triste norme de certaines maisons d'arrêt (Nice, Nîmes, Fresnes...), qui a conduit la CEDH (Cour européenne des Droits de l'Homme) à condamner la France le 30 janvier 2020. "Dans ces établissements il a été reconnu que les détenus n'avaient qu'1 à 2 m² d'espace vital. A titre de comparaison, le ministère de l’Agriculture a considéré que l’espace minimal requis pour l’hébergement d'un chien était de 5 m²", fait remarquer Anthony Zamantian, avocat au barreau de Marseille.

Les annonces de Nicole Belloubet ont créé “la confusion” et la frustration

Si certains détenus ont vécu leur sortie comme une délivrance, évitant ainsi un "surconfinement", d'autres ont ressenti une immense frustration en apprenant qu'ils allaient devoir rester en prison avec l'angoisse du Covid-19 et les restrictions qui vont avec. "Au départ Nicole Belloubet avait annoncé la libération de 10 000 détenus "en fin de peine", sans donner plus de précision, se souvient Anthony Zamantian. Du coup, pendant plusieurs jours, cela a créé une immense confusion. L'un de mes clients à qui il restait 6 mois a vraiment pensé qu'il allait sortir". Ce n'est que le 25 mars que les conditions précises de sortie ont été dévoilées dans une ordonnance : seules les personnes condamnées à moins de 5 ans de prison auxquelles il restait 2 mois à effectuer ont pu être libérées.

”Les détenus n'ont jamais eu droit au masque, ni au gel hydroalcoolique”

"Avant l'ordonnance, la ministre avait également laissé entendre que les détenus malades allaient pouvoir sortir, signale Delphine Boesel. Au final, aucun malade n'est sorti. Cela ne nous a pas empêché de recevoir énormément de coups de fil de prisonniers malades et libérables en 2021 ou 2022, qui pensaient pouvoir être libérés à cause de leur asthme ou de leur hypertension. Il a fallu faire preuve de pédagogie, nos clients pensaient qu'on faisait mal notre travail."

Pour ceux qui sont restés, ce fut le début d'un quotidien particulièrement éprouvant, sans protection face au Covid-19. "Les 15 premiers jours, les surveillants n'avaient pas de masque, raconte Delphine Boesel. Et les détenus n'ont jamais eu droit au masque, ni au gel hydroalcoolique, car il y a de l’alcool et l'administration refuse qu’ils aient accès à de l’alcool car elle pense qu’ils pourraient s’attaquer à des surveillants avec". Au 8 mai, au total, 118 détenus et 292 agents ont été testés positifs selon l'OIP. Des chiffres plutôt faibles, qui cachent une autre réalité : certains prisonniers ont tenté de dissimuler la maladie par peur d'une mise à l'isolement pendant 14 jours. "C'est arrivé à certains de mes clients et aux proches de mes clients, confie Maud Guillemet, avocate au barreau de Seine-Saint-Denis. Ils ont eu les symptômes du Covid-19 mais ont préféré ne rien dire, l'isolement aurait été trop dur".

Un crédit téléphonique de 40 euros par prisonnier en avril

"Depuis deux mois, le plus compliqué pour les détenus, c'est de ne pas voir leurs familles, c'est le sujet principal de leur souffrance", constate Maud Guillemet. Pour éviter des mouvements de colère et la rupture totale de liens familiaux déjà fragiles, chaque détenu s’est vu allouer en avril un crédit téléphonique de 40 euros, afin d'appeler ses proches (soit 11h de communication de fixe à fixe et 4h30 de fixe à portable).

"Si dans les prisons récentes, les détenus ont un téléphone fixe dans leur cellule, ce n'est pas le cas de la majorité des maisons d'arrêt où il a fallu faire la queue pour téléphoner, limiter ses communications, et surtout trouver un surveillant qui veuille bien ouvrir la porte de la cellule pour aller jusqu'au téléphone, situé dans la cour de promenade ou dans la coursive", indique Delphine Boesel. Dans certains cas, comme à Avignon, les détenus ont, par peur du virus, préféré se priver de communication, le combiné collectif n'étant pas désinfecté entre chaque appel.

”Depuis deux mois, comme il n'y a plus de parloir, il n'y a plus de linge propre”

Qui dit absence de parloir dit aussi problème de...linge sale. "En général, les familles viennent avec des vêtements propres aux parloirs, et elles repartent avec le linge sale, car les détenus n'ont pas accès aux machines à laver, souligne Delphine Boesel. Depuis deux mois, comme il n'y a plus de parloir, il n'y a plus de linge propre. Dans certains établissements, les détenus ont pu avoir du savon et de la lessive pour pouvoir laver le linge à la main et le faire sécher dans leur cellule. Quand ils sont deux ou trois dans une cellule, ce n'est pas l'idéal...".

À partir de ce lundi 11 mai, les améliorations des conditions de détention ne devraient pas être flagrantes, puisque la réouverture des parloirs sera probablement accompagnée de plusieurs mesures très strictes. "L'administration pénitentiaire envisage de mettre des plexiglas dans les salles de parloirs pour éviter tout contact, indique Delphine Boesel. A priori, les détenus n'auront droit qu'à une seule visite par semaine, il n'y aura qu'une seule personne habilitée à venir au parloir (contre jusqu'à 2/3 personnes en temps normal) et toute personne venant de l'extérieur devra obligatoirement porter un masque. Par ailleurs, les enfants ne pourront pas rendre visite à leurs parents, et ça, au bout d'un moment, ça va vraiment devenir problématique".