Vingtième round : faut-il dire non aux référendums de Sarkozy ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely de Causeur.fr et Jean Matouk, de Rue89, s'interoge sur les propositions de référendums faites par le candidat Sarkozy.

L'apprenti-sorcier Sarkozy joue avec la démocratie

Par Jean Matouk

Prétextant que les corps intermédiaires « bloquent » des décisions qu'il affirme indispensables à l'avenir du pays, Nicolas Sarkozy a annoncé son intention de soumettre à référendum plusieurs réformes de caractère économique ou social : il propose de commencer par la formation et les droits des chômeurs, avant de passer à l'immigration.

Ce n'est pas le principe du référendum qui est contestable. Il est inscrit dans l'article 11 de la Constitution, incluant depuis 1995 les problèmes économiques et sociaux. Mais dans la pratique, ses prédécesseurs ne l'ont utilisé que pour les décisions institutionnelles ou les traités.

A la pêche aux voix du Front

Nicolas Sarkozy veut aller plus loin, en légiférant par référendum. Mais pourquoi, s'il s'agit de court-circuiter les résistances, n'a-t-il pas « abrégé » le débat sur les retraites par un appel au peuple en 2010 ? Pourquoi fait-il voter la TVA sociale au Parlement et ne la réserve-t-il pas aussi pour un référendum ?

La réponse est simple : parce qu'il sait que tout référendum se transforme en plébiscite pour ou contre celui qui pose la question. De Gaulle en a bénéficié trois fois. Mitterrand deux fois, dont une de justesse. C'est Chirac, et non la Constitution européenne, qui a été battu en 2005.

Les vrais démocrates ont toujours contesté la pratique plébiscitaire : elle est la porte ouverte aux régimes autoritaires. La plus vieille démocratie du monde, la britannique, n'y a et n'y aura jamais eu recours. Dans la droite ligne des philosophes des Lumières, de Montesquieu, de Locke et de tant d'autres, elle compte sur le Parlement et ses élus, sur les corps politiques intermédiaires — vilipendés en France par le président de la République —, qui assurent par leur existence même la stabilité politique de la société. Au prix, c'est vrai d'une plus grande lenteur et de procédures quelques fois laborieuses.

Si Nicolas Sarkozy manipule ce projet aujourd'hui, c'est pour « déplacer » le débat sur un bilan qui le gène et tenter d'éviter l'affrontement sur le terrain économique proprement dit. C'est surtout pour aller à la pêche aux voix du Front national.

Il est probable que Nicolas Sarkozy, s'il est élu, abandonnera sa récente lubie, comme bien d'autres idées qu'il a déjà lancées en l'air. Sa manière « zébulonienne » de gouverner, ses changements permanents de position constituent une garantie paradoxale contre une évolution plébiscitaire. Mais compte tenu du contexte international, on peut quand même avoir des sueurs froides.

Démocratie et paix ne sont jamais acquises

Comme le soulignait Emmanuel Todd, le 14 février lors de l'émission « Ce soir ou jamais » sur France 3, on peut interpréter l'évolution actuelle de l'économie européenne , comme une hiérarchisation, illégitime et parfaitement antidémocratique, des pays constituant l'Europe. Chacun d'entre eux a ses caractéristiques politiques, économiques et sociales propres, fondées sur ses structures familiales antérieures. Il est donc normal qu'ils adoptent des approches différentes face à une même conjoncture.

Ils ont voulu s'unir, à juste titre, y compris autour d'une monnaie commune, pour affronter des pays-continents. Ceci implique, c'est vrai, certaines disciplines communes, que les Grecs ont tacitement refusé, ce qui conduit à leur mégoter aujourd'hui notre solidarité. Mais cela ne légitime pas cet « ordre » international imposé par quelques pays autour de l'Allemagne et qui les contraindrait à changer leur identité pour parachever l'unité.

Or, cette hiérarchie internationale, pour se consolider, a besoin de « fractales » dans les pays « soumis ». A la tête de ces pays, s'installent des régimes populistes et durs, dont le nouveau Sarkozy annonce qu'il pourrait donner l'exemple, recourant, comme il le dit lui-même, au « peuple » contre les élites.

Air déjà connu pour tous ceux qui ont vécu ou connaissent l'Histoire. Trop d'Européens sont aujourd'hui convaincus que la démocratie et la paix sont des acquis définitifs. Selon le mot de Malraux, ils pourraient, eux, inconsciemment, devenir les « esclaves qui disent oui ».

La menace d'un "néo-fascisme"

Les gouvernements de « techniciens » grecs et italiens risquent bien de ne pas tenir longtemps le choc. Des élections vont venir qui peuvent amener des « majorités d'ordre ». Une sorte de néo-fascisme, fondé sur les contraintes financières et autres « règles d'or » se développerait dans les pays du continent européen ou l'ancien fascisme avait fleuri, il y a soixante-dix ans.

L'Allemagne, compte tenu de son passé, devrait être particulièrement consciente d'un tel danger. Elle refuse toute relance centrale européenne, qui permettrait pourtant de pallier, au moins en partie, les effets économiquement délétères de politiques d'austérité simultanées. Elle risque, ce faisant, de provoquer une évolution aussi inquiétante : chez les autres, mais aussi à terme chez elle, si 60% de ses débouchés à l'exportation se ferment, faute de demande européenne.

Jean Matouk


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Retour aux référendums : je vote oui !

Par Gil Mihaely

Nicolas Sarkozy est à ce jour le seul président de la Vème République à n'avoir jamais eu recours à un référendum national. En 2007, par ailleurs le même président a réintroduit par la fenêtre le Traité constitutionnel européen rejeté massivement par référendum en 2005. Qu'il propose donc depuis dimanche dernier de redonner la parole aux Français peut prêter à sourire. Mais après les sarcasmes — bien mérités — il faut se poser quelques questions sérieuses, et notamment la plus banale des questions de fond : est-ce que le référendum est bon ou mauvais pour la France ? Et ensuite, si la réponse est oui, quel candidat pourra le remettre en selle, celui qui a promis et risque de ne pas tenir parole ou bien celui qui est franchement contre ?

La Vème République est un marché de dupes. Sur fond de guerre d'Algérie et lassitude générale du régime des partis — la Quatrième — les Français ont opté en 1958 pour la stabilité et la gouvernabilité aux dépens de la représentativité, et disons-le de l'équité. Le prix à payer pour ce compromis lointain est toujours supporté par de larges franges de la communauté nationale : d'importants courants politiques sont largement sous-représentés dans les institutions de la République, phénomène qui érode systématiquement la légitimité des pouvoirs élus. En revanche, la contrepartie est douteuse : avec deux cohabitations et des présidents élus par 20 millions de français qui n'osent plus bouger un orteil dès qu'un million de personnes descendent dans la rue, la capacité d'action de la Cinquième ressemble étrangement à celle de la Quatrième…

Or le constat d'une société en panne sèche est partagé par la plupart des Français et le besoin de réforme aussi. Mais comment faire ? Et bien en général on choisit de ne rien faire, pour ne pas froisser les polytechniciens, les agriculteurs, les magistrats, les familles nombreuses, les amis des bêtes, les non-fumeurs, etc. Pour être plus exact, il s'agit surtout de ne pas fâcher les porte-voix de ces groupes, qu'ils soient réellement représentatifs ou seulement autoproclamés. C'est bien pour ça qu'en l'état actuel des choses, on n'est pas près de voir le prélèvement de l'impôt à la source, la retraite par points, le code vestimentaire à l'école, la possibilité d'acheter de l'aspirine chez l'épicier du coin ou la taxe sur les déjections canines, toutes bonnes idées que nous risquons d'envier pendant quelques siècles encore à nos voisins européens.

D'où l'idée, pas plus bête qu'une autre, disons-le, de contourner par la voie la plus démocratique possible ces corps intermédiaires qui pensent, parlent et décident en notre nom. Certes le président et ses amis ont parfois des définitions assez éloignées de ce qu'ils appellent les « corps intermédiaires ». Certains sarkozystes à front bas ne visent explicitement que les syndicats ou les collectivités locales — et surtout celles de gauche. Les plus avisés n'oublient heureusement pas d'y ajouter le patronat, l'énarchie ou la magistrature.

La vision la plus large du problème s'impose. Car malheureusement, les corps constitués et les contre-pouvoirs qui fondent la démocratie française sont également en panne. Les syndicats ont de moins en moins d'adhérents et les medias souffrent d'un manque cruel de pluralisme. Laurence Parisot déclenche l'hilarité générale à chaque fois qu'elle s'exprime et Bercy est perçu comme l'ennemi public n°1 par tous les Français (sauf Bernard Tapie). Et après le jugement ubuesque condamnant un maire du Nord ayant giflé un voyou, qui croira encore que la justice est réellement rendue au nom du Peuple français ?

Force est de reconnaitre que la République s'étouffe et il faut prendre des mesures pour la faire respirer de nouveau à pleins poumons. Plutôt que d'asphyxier les corps intermédiaires — dont la plupart, tout sclérosés qu'ils soient, restent nécessaires — on peut penser qu'oxygéner le débat public par un recours intelligent au peuple qui aura comme conséquence une revitalisation de ces institutions. Souvenons-nous des conséquences des débat qui ont précédé et suivi le référendum de 2005 : D'une question de spécialistes, l'Europe est devenue en trois mois seulement l'affaire des citoyens, et c'est très bien comme ça.

Il ne s'agit donc pas de populisme bête prônant une impossible démocratie directe ou un péronisme remastérisé fondé sur un dialogue mystique entre le leader et « le peuple » mais d'un assouplissement intelligent de la démocratie française. Un ou deux référendums sur des questions importantes par quinquennat, ou peut-être même un peu plus, pourraient revigorer la vie démocratique et surtout redonner de la légitimité aux institutions républicaines. Quand les citoyens se sentent de moins en moins écoutés par la France d'en haut, les faire participer plus souvent et plus concrètement aux grandes décisions est une urgence.

Ainsi, au lieu d'infantiliser les français en en lui proposant que des gestes « citoyens » sur la nécessaire fermeture des robinets durant le savonnage des mains, le tri sélectif ou la Fête des voisins, il est temps de réhabiliter le geste citoyen par excellence: la libre expression du peuple souverain.

Gil Mihaely

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