Vingt-septième round : Nicoas Sarkozy a-t-il raté sa campagne ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Luc Rosenzweig de Causeur.fr et Pascal Riché, de Rue89, s'interrogent sur la campagne de Nicolas Sarkozy.

Sarkozy : la plus ratée des campagne?

Pascal Riché

Bien sûr, avant de l'avoir tué dans les urnes, il serait inconvenant de vendre la peau de l'ours. Il peut toujours se passer un événement extraordinaire qui fasse mentir les sondages, pourtant solides et constants, du second tour.

Mais qu'il perde (fin prévisible) ou qu'il gagne (miracle), Nicolas Sarkozy n'aura pas conduit une campagne étincelante. Faut-il s'en étonner ? Contrairement à une idée reçue, Sarkozy a bien des qualités, mais ce n'est pas forcément le Mozart des tactiques électorales que l'on imagine.

Cette réputation flatteuse, il la tient de sa glorieuse campagne de 2007 et d'elle seule. Il a depuis lors perdu toutes les élections locales ou européenne, et il avait été l'un des architectes de plusieurs des grands fiascos électoraux récents : la campagne de Balladur en 1995, le référendum sur le traité européen de 2005... Mais c'est vrai, on ne peut lui retirer 2007 : une campagne prodigieuse, au cours de laquelle Nicolas Sarkozy avait à la fois réussi à :

- présenter sa candidature comme une alternance au chef historique de son propre parti (la « rupture »);

- siphonner à l'étonnement général les voix du Front national (le « Kärcher »);

- mordre sur l'électorat populaire (« gagner plus »);

- rassembler au-delà de la droite (« le rêve français »).

Il était habité par sa campagne, c'était visible ; il portait des idées surprenantes, parfois ambitieuses : le service minimum, l'exonération des heures sup', le Grenelle de l'environnement, le RSA, etc.

L'énergie d'un hamster dans son manège

Aujourd'hui il pousse sa campagne avec énergie, certes, mais avec celle du hamster dans son manège. Il donne l'impression de tourner en rond, rabâchant des formules toutes faites. Il lance des idées en rafale, mais ce sont des mesurettes : réforme du permis de conduire, décalage de huit jours du versement des pensions de retraites... Selon un pointage de Slate, un tiers de ses promesses figuraient déjà dans son programme de 2007 !

Sarkozy a décidé de tout miser sur le « caractère », selon la formule chère aux stratèges de George Bush, en 2004 (« it's all about character »). Le « story telling » de sa campagne, nous a confié une de ses proches conseillères est donc le suivant :

« Un homme, transformé par son expérience, seul face aux Français. D'où les propositions de référendum, les propos sur les corps intermédiaires... D'où aussi l'effacement de l'équipe de campagne, qui s'exprime très peu. »

C'est l'idée du capitaine solitaire dans la tempête, donc. Après l'hyperprésident, l'hypercandidat... Mais là réside l'erreur de Nicolas Sarkozy : les Français n'en peuvent plus de l'hyperchef ! Le Président est en train de faire campagne en mettant en avant, précisément, le défaut que le peuple lui reproche !

Qu'aurait-il pu faire de génial ?

Du même coup, François Hollande n'a même pas besoin de faire lui non plus une vraie campagne. Il lui suffit de se montrer souriant, « normal », entouré d'une vraie équipe de gens aux airs responsables, du genre Michel Sapin. Et de passer à la télé quelques clips où Jaurès-Blum-De Gaulle-Mitterrand défilent à toute vitesse pour faire battre les petits cœurs de gauche des Français. Sa campagne n'est pas très brillante, mais à la différence de son adversaire, lui n'en a pas besoin.

A la décharge de Nicolas Sarkozy, on voit mal ce qu'il aurait pu faire de génial dans sa situation : un bilan assez indéfendable (avec un chômage deux fois plus élevé que ce qu'il avait explicitement promis) ; des marges de manœuvres réduites à zéro ; un rejet très profond dans la population.

Comme dit notre chroniqueur Eric Dupin, on peut être champion à la belote ou au poker, il est certaines parties qui commencent avec de trop mauvaises cartes dans son jeu...
Pascal Riché

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Par Luc Rosenzweig

« C'est à la fin du marché qu'on compte les bouses … ». La sagesse paysanne et maquignonne nous incite à la prudence pour évaluer une campagne, celle de Nicolas Sarkozy, alors que la joute électorale du premier tour n'est pas encore terminée. Qui peut dire aujourd'hui quelle tonalité prendra le duel final, alors que l'on ne connaît pas le score des Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou ?

Le seul critère qui vaille pour juger de la qualité d'une campagne présidentielle se résume à la question : « Le candidat, qu'il soit élu ou battu, sort-il en meilleure forme politique de ce combat qu'il n'y est entré ? ». La question est déjà tranchée pour Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Eva Joly. Le premier a réussi à coaguler sur son nom le potentiel électoral de l'extrême gauche, la seconde devrait, selon les sondages obtenir un score nettement plus élevé que son père en 2007. Eva Joly, à l'inverse, portera le fardeau de la déroute présidentielle des écologistes, alors que ceux qui l'ont envoyée au casse-pipe comptent les jours les séparant de leur destin ministériel.

Cette question, en revanche, reste ouverte pour François Bayrou, dont le score prévu, largement inférieur à celui de 2007, ne sera pas déterminant pour son futur rôle politique. Pour François Hollande et Nicolas Sarkozy, seule une victoire le 6 mai peut leur permettre de ne pas disparaître du paysage politique français.

Quel serait en effet le destin d'un François Hollande vaincu à l'issue d'une élection réputée imperdable ? Aurait-il encore l'énergie et l'abnégation de se consacrer à la Corrèze ?

Nicolas Sarkozy a prévenu : s'il est battu, il ira se faire voir ailleurs.

Le critère de réussite de sa campagne ne sera pas seulement la victoire. L'époque est sans pitié pour ceux qui ont la charge de conduire les affaires dans la tourmente de la crise de l'euro et des dettes souveraines, qu'ils soient de droite ou de gauche : Zapatero, Berlusconi, Papandréou et quelques autres moins connus en ont fait récemment l'amère expérience. De plus, dans l'histoire de la Vème République, aucun président de la République n'a été élu sur son bilan. La campagne de Giscard d'Estaing en 1981 n'était pas honteuse, en dépit d'un slogan raté (« une France plus forte »). Mitterrand et Chirac ont été réélus en faisant porter à leurs concurrents, premiers ministres de cohabitation, la responsabilité du bilan de la législature. Nicolas Sarkozy est donc parfaitement fondé à ne pas faire de son bilan un argument de campagne, bien que celui-ci soit moins calamiteux qu'on le clame ici ou là. Mais on ne saurait rallier les foules avec la réforme de la carte judiciaire ou la question préalable de constitutionnalité. Il est aussi difficile de faire valoir que les désagréments provoqués par la crise dans la vie quotidienne des Français auraient été bien plus rudes si le président de la République sortant n'avait pas pris les bonnes décisions, celles, justement qui font mal. Certes, quelques lignes de la partie négative du bilan relèvent de la responsabilité directe de Nicolas Sarkozy, et non pas de la contrainte extérieure (le Fouquet's, « casse-toi pov'con ! »). On a pourtant connu des présidents dont les « casseroles » étaient notablement plus sonores que celles attachées aux basques de Nicolas Sarkozy, comme François Mitterrand (Rainbow Warrior, écoutes téléphoniques) ou Jacques Chirac (emplois fictifs à la mairie de Paris) qui ont été brillamment réélus.

On ne saurait non plus reprocher au candidat Sarkozy la « droitisation » de ses thèmes de campagne. Est-il indigne de chercher, comme en 2002 d'essayer de réduire le score du FN en prenant en compte le besoin de protection (dans tous les domaines) des secteurs les plus fragiles de la population ? Rappelons, à ceux qui l'auraient oublié que Nicolas Sarkozy n'a jamais été de gauche, et que ceux qui lui font confiance n'attendent pas de lui qu'il leur propose une analyse de la société puisée dans les œuvres des sociologues de la gauche bien-pensante. Moins crédibles, je le concède, sont ses appels du pied à la France du « non » au référendum constitutionnel européen de 2005, lorsque l'on a été l'artisan de son retour par la fenêtre sous la forme du Traité de Lisbonne adopté par le Congrès…

Enfin, Nicolas Sarkozy a réussi une chose que Lionel Jospin avait manqué en 2002, empêcher toute concurrence venue de sa famille politique. De son score du 6 mai dépendra, pour une bonne partie, le maintien de la cohésion d'une droite qui a cédé beaucoup de terrain depuis 2007 (mairies, départements, régions, sénat). Honorablement défait - disons à 52-48 — le président sortant pourra se prévaloir d'avoir maintenu la cohésion de la droite républicaine. S'il subit une débâcle, le risque est grand de voir l'UMP éclater entre partisans et adversaires d'une alliance avec le FN. Mais s'il en est ainsi, ce n'est pas la campagne qu'il faudra mettre en cause, mais le choix de Nicolas Sarkozy de se représenter.
Luc Rosenzweig

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