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Troisième round : a-t-on vraiment la droite la plus bête du monde ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Lévy et Pascal Riché s'interrogent sur le clivage droite-gauche après le retrait de Jean-Louis Borloo.

Droite: la plus bête du monde, parce que la moins "normale"

Par Pascal Riché

Après s'être échappé pendant quelques mois, il est sagement rentré à la maison, au grand soulagement de ses maîtres. Pendant quelques mois, il a goûté la liberté, courant après les papillons, pataugeant joyeusement dans le marais, jappant avec une audace retrouvée contre le gouvernement. Puis, Jean-Louis Borloo est revenu. Chez lui, à droite.

En son "âme et conscience", il n'a "pas voulu ajouter de la confusion", a expliqué le chef du parti radical, confus comme jamais. Il a donné dimanche, sur TF1, le spectacle pathétique d'un homme prisonnier.

Les radicaux, disait-on sous la IIIe République, sont comme les radis : rouges à l'extérieur, blancs à l'intérieur, et toujours près de l'assiette au beurre. Aujourd'hui, on dirait "légèrement rose à l'extérieur", mais l'image fonctionne toujours.

Une autre citation cruelle illustre le retour au bercail de l'ancien ministre : "Le centre, ce n'est ni à gauche, ni à gauche". Elle est signée François Mitterrand, grand connaisseur de la question centriste : sa trajectoire est partie de l'UDSR, petit parti de la IVe république financé par le patronat.

La droite orléaniste manque d'air

Que le centre ne parvienne pas à exister sous la Ve République n'est pas étonnant : le scrutin majoritaire l'a privé de son rôle de charnière. Ce qui est plus étonnant c'est que les Borloo, Morin et autres Bayrou ne parviennent pas à exister durablement comme composante de la droite. L'UDF, tentative la plus réussie à ce jour, est morte.

C'est le signe d'un profond dérèglement de la droite française, encombrée d'un lourd héritage, à la fois monarchiste, bonapartiste, et gaulliste qui la prive de cohérence idéologique.

Ailleurs en Europe, la droite est libérale ; en France, c'est une droite de l'ordre. Ailleurs, la droite prône franchement la baisse des impôts, l'allègement de l'intervention de l'État, les libertés publiques. En France, la droite est vaguement libérale, vaguement étatiste, vaguement autoritaire. Ailleurs, la droite a un leader ; en France, elle a un chef.

Des trois droites repérées par René Rémond (la légitimiste, l'orléaniste, la bonapartiste), la seconde, la plus libérale, celle de François Guizot, d'Antoine Pinay, de Raymond Aron ou de Valéry Giscard d'Estaing ne parvient pas à s'épanouir. La création de l'UMP a évidemment accentué son asphyxie.

Résultat, la droite se sent obligée de varier au gré des vents idéologiques. Un coup elle défend l'Europe, un coup elle prend ses distances. Un coup elle vante le marché, un coup elle fait mine de le combattre. Un coup elle vante l'immigration, un coup elle la présente comme le mal numéro un. Chirac a prôné le "travaillisme à la Française" avant de foncer tête baissée dans le néo-libéralisme, puis maudire la "fracture sociale". Sarkozy, ce "Jacques Chirac en sueur" (Thomas Legrand) ne vaut guère mieux : il enfile les concepts empruntés ici et là : "travailler plus", "bouclier fiscal", "laïcité positive", "refondation du capitalisme", "patrons voyous", "grèves qui passent inaperçues" "taxe Tobin"...

Une machine à nourrir le FN

Le Front national se nourrit avec gourmandise de ce désordre conceptuel. Grimpe-t-il ? Qu'à cela ne tienne, raisonne alors la droite : il suffit d'ajouter quelques oripeaux frontistes à ce bric-à-brac. On part alors à la chasse aux Roms, on pérore sur l'identité nationale... On fustige la pensée unique, on gonfle les muscles, on prône une droite "populaire", "dure". Autant d'initiatives qui ne font que renforcer le FN et prospérer ses idées.

La droite française ne perdra son titre de "droite la plus bête du monde", attribué par Guy Mollet, que lorsqu'elle se débarrassera de ses fantômes du passé : qu'elle produira une droite à la David Cameron ou à la Angela Merkel, ces conservateurs "normaux", pour reprendre un terme à la mode chez les partisans de François Hollande.

Cela passera probablement par un éclatement de l'UMP et la naissance de deux droites cohérentes, l'une libérale, l'autre autoritaire et "populaire". La question du FN dans un tel scénario restant ouverte : disparition ou intégration?

Borloo fait partie de ceux qui auraient pu favoriser une telle évolution ; il a préféré retourner à la niche.

Pascal Riché

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Droite/gauche : le clivage le plus bête du monde

Par Elisabeth Lévy

On ne sait plus où donner de la tête. À raison d'un cataclysme historique ou d'un retournement majeur par semaine, la campagne présidentielle s'annonce riches en émotions. En tout cas, le festival du commentaire péremptoire n'est pas prêt de s'arrêter. On sait donc avec certitude depuis l'élection d'un socialiste à la présidence du Sénat que « Sarkozy est foutu » - d'ailleurs, c'est ce que pensent les Français qui, à force de l'entendre toute la journée, le répètent gentiment aux sondeurs.

Le retrait de Jean-Louis Borloo — dont seuls les amis et encore pas tous pensaient qu'il irait jusqu'au bout — a suscité des analyses plus contrastées mais tout aussi catégoriques. « Bonne nouvelle pour l'Élisée », affirment les uns qui jurent avoir vu la main du président dans la culotte de leur sœur. « La droite a perdu son râteau à récolter les voix centristes », prétendent les autres — en particulier les centristes.

Le forfait du maire de Valenciennes a en tout cas remis au goût du jour une grille de lecture séduisante car elle permet de détester Nicolas Sarkozy sans rejeter dans l'enfer du conservatisme et de la réaction la grosse moitié des Français qui a voté pour lui.

La droite, c'est comme le cholestérol, il y en a une bonne et une mauvaise, une qui offre des clopes et une qui donne des coups, une qui épouse au grand jour et une qui « flirte » dans les coins sombres — devinez avec qui. Citant Jean-François Copé qui a déclaré que l'UMP devait donner toute sa place à « cette sensibilité », Le Parisien précise qu'il s'agit de la sensibilité « humaniste ». C'est connu, à la droite de Jean-Louis Borloo, on n'est pas humaniste. Il est vrai que la plupart des commentateurs incluent dans cette droite fréquentable tous ceux qui, à l'UMP, sont supposés s'opposer au « candidat naturel », tel Alain Juppé qui ne doit pas en revenir de sa nouvelle popularité, dans le peuple médiatique en tout cas.

Logiquement, on dénonce donc régulièrement la « droitisation de la droite » qui serait incarnée par Patrick Buisson — lequel a surtout le tort de croire que l'électorat se saucissonne en parts de marché. La « droitisation », pour faire court, ça consiste à parler d'immigration, de sécurité et de drapeau, thèmes « nauséabonds » car contaminés pour des millénaires par le Front national — dans ces conditions, le député-maire communiste de Vénissieux André Gerin et peut-être même Ségolène Royal devraient rapidement rallier le Président sortant. Et tant pis si ces thèmes intéressent les Français, en particulier ceux qui appartiennent aux classes populaires, y compris les rares dont le PS n'a pas encore réussi à se débarrasser.

Sauf qu'une élection ne se gagne pas au centre, à gauche ou à droite, mais au peuple. Au lieu de l'accuser de racisme, xénophobie et autres crimes, on pourrait se demander ce qu'il veut, ce fichu peuple, pas ce qu'il veut qu'on lui dise, mais ce qu'il voudrait qu'on fasse. À moins qu'on n'ait pas très envie de le savoir. On risque en effet de découvrir qu'une grande partie des Français, quelles que soient leurs appartenances politiques et leurs origines géographico-culturelles, veulent rester un peuple, c'est-à-dire une collectivité qui décide de son avenir à l'intérieur de ses frontières. Si la question de l'immigration est si sensible, ce n'est pas parce que les Français sont racistes, mais parce que depuis 30 ans, les bonnes âmes de droite et de gauche ne savent qu'ânonner qu'elle est une « chance pour la France » - comme si un phénomène social d'une telle ampleur pouvait être décrété bon ou mauvais. Ce que redoutent beaucoup de citoyens comme vous-et-moi (et pas seulement d'affreux lepénistes au couteau entre les dents), c'est que la France et les autres nations disparaissent, parce que, contrairement aux ravis de la crèche européenne, ils savent qu'après les nations il n'y a rien, rien qui puisse servir de cadre à la vie publique et à la démocratie. Autrement dit, la plupart des « gens ordinaires » n'ont pas besoin de lire Michéa pour comprendre que tout changement n'est pas synonyme de progrès et que l'effacement des frontières n'est pas une bonne nouvelle.

L'ennui, c'est que ce clivage qui prend ses racines dans l'anthropologie profonde ne permet nullement de distinguer la droite de la gauche. Une fois de plus, le peuple devra donc choisir, non pas entre deux familles idéologiques mais entre deux écuries électorales qui, au-delà des différences rhétoriques, finissent par mener peu ou prou la même politique puisqu'il n'y en pas d'autre. N'en déplaise à mon cher confrère, plutôt que de chercher à sauver la droite (ou la gauche), il s'agit peut-être de se délivrer une fois pour toute des ces signifiants dépourvus de référents. Alors, il est fort possible que les électeurs décident de changer d'écurie mais ce sera sans grandes illusions. Le meilleur argument de la gauche reste le rejet de Nicolas Sarkozy. Et voilà pourquoi notre vie (politique) est muette.

Elisabeth Lévy

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