Premier Round : les primaires, à quoi ça sert ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. pour démarrer notre battle, Pascal Riché, rédacteur en chef de Rue89 et Elisabeth Lévy, rédactrice en chef de Causeur s'affrontent sur le thème des primaires. exercice démocratique ou farandole inutile, à vous de trancher.

C'est les sondages qui décident

Par Elisabeth Lévy

On vous l'a dit et répété : le PS nous donne une belle leçon de démocratie. Et nous, la démocratie, on aime ça. Et puis, il nous parle des vrais-problèmes-des-Français. Et nous, les vrais-problèmes-des-Français, il n'y a que ça qui nous intéresse. Il faut être de très mauvaise foi pour observer que la sexualité tourmentée d'un seul socialiste passionne plus les foules que les échanges courtois et distingués entre 6 de ses camarades : entre ébats et débat, les Français ont choisi. D'accord, le débat citoyen entre les six candidats à la primaire du même nom a rassemblé 5 millions de téléspectateurs. Mais la confession de DSK en a attiré 13 millions. C'est sans doute la preuve que les Français veulent tourner la page. Ou peut-être qu'ils trouvent Claire Chazal plus jolie que David Pujadas.

Il serait également inconvenant de remarquer qu'il a suffi d'une petite phrase de l'ex-futur sauveur de la Gauche et du pays pour faire exploser la belle entente entre nos six personnages en quête d'hauteur. « Menteuse ! », « traitre ! » : depuis dimanche soir, à Solferino, il y a du sang sur les murs. Il est vrai que la droite n'a aucunement besoin de primaires pour prouver aux électeurs que le « débat politique » - si on ose encore employer ce terme — est structuré par des querelles d'égos et des haines recuites bien plus que par des divergences idéologiques. Si sur l'essentiel — dette publique, mondialisation et tout le toutim — il n'y a pas de différences fondamentales entre, par exemple, Hollande et Fillon (l'un proposant d'inscrire la règle d'or dans la loi, l'autre dans la Constitution), il y en a encore moins entre Sarkozy et Villepin. Et c'est bien parce que les grands partis ne sont plus que des machines à distribuer des postes que notre vie politique est un champ de ruines. Les primaires ne font que prendre acte de cette évolution en officialisant en quelque sorte le double-bind par lequel les prétendants sont sommés d'être à la fois rivaux et alliés, autrement dit d'afficher simultanément leur différence et leur cohérence.

Mais la véritable entourloupe est ailleurs. Pourquoi les primaires sont-elles une proposition que même la droite ne peut pas refuser — Valérie Pécresse ayant annoncé que l'UMP aurait les siennes…en 2017 ? « Les 9 et 16 octobre, c'est pas Marcel, c'est moi qui décide », peut-on lire sur le ravissant débardeur (marcel…) que m'a offert un ami socialiste et facétieux. Qui résisterait à une telle promesse ? Etre contre les primaires, c'est comme être contre la parité, le mariage homosexuel ou l'arrêt du nucléaire : c'est ringard. Or, comme le rappelle Jean-Claude Michéa dans Le Complexe d'Orphée (1) , la Gauche, c'est « le parti de demain » : elle n'en finit pas de courir vers l'avenir radieux de la démocratie totale et planétaire avec le vieux monde à ses trousses. Sauf qu'il n'y a plus de vieux monde. Et c'est bien le problème. L'idée même d'une hiérarchie verticale entre maître et élève, représentant et représenté, gouvernants et gouvernés répugne à nos esprits démocratiques. Il y aurait quelque chose de scandaleusement aristocratique dans le fait que nous choisissions « les meilleurs d'entre nous » pour gouverner et, avant cela, élaborer et proposer des visions du monde et des projets pour la collectivité.

Le résultat, c'est que l'action politique consiste à demander aux citoyens, par voie de sondages et parfois d'élections, ce qu'ils veulent entendre, comment ils veulent l'entendre et maintenant de qui ils veulent l'entendre. On nous interrogera bientôt sur la couleur de la cravate du candidat idéal.

C'est ainsi qu'en 2007, le militant socialiste a été prié de choisir celle dont les sondages, donc les journalistes, juraient qu'elle était la meilleure. Avec le succès que l'on sait. Ségolène Royal appelait ce système parfaitement autoréférentiel « démocratie participative ». Il serait plus judicieux de parler de « démocratie d'opinion ». Or, contrairement au peuple, l'opinion, on sait où la trouver : dans les sondages et les courbes d'audience. Dans ces conditions, il faut peut-être aller plus loin que les primaires et saluer la Fondation Terra Nova qui, il y a quelques mois, proposait courageusement de remplacer le vote, ce vieux machin du siècle passé, par un immense sondage. Cela aura au moins l'avantage de réduire le déficit budgétaire.

(1) Le Complexe d'Orphée — La Gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, (Climats/Flammarion, à paraître en octobre)

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Le PS a battu Masterchef, en attendant Hyperprésident

Par Pascal Riché

Tiens, tiens. Sur Radio J, ce week-end, la ministre du budget UMP Valérie Pécresse, porte parole du gouvernement, a indiqué que la droite "n'échapperait pas" aux primaires en 2017 : "Je crois que c'est une façon moderne de faire de la politique", a-t-elle même ajouté.

Bel hommage, non? Les mêmes qui prenaient des airs dégoûtés au début du processus lancé par le PS, allant jusqu'à questionner sa légalité, commencent à lui trouver des charmes.

Contrairement à toute attente (en tout cas aux miennes), la gauche socialiste semble en passe de réussir son premier pari : susciter l'intérêt des Français. Les médias ont mordu à l'hameçon. Et Nicolas Sarkozy n'est plus le seul à choisir les sujets du débat politique : on parle autant sinon plus des 60 000 postes d'enseignants de Hollande ou de la mise sous tutelle des banques proposée par Montebourg que du succès français en Libye ou de la délinquance "roumaine".

Mieux: la campagne des primaires a -jusque là- évité les trois pièges qu'on lui prédisait, l'ennui, les déchirements internes et la ringardise. Par contrecoup, c'est la droite qui récupère ces cadeaux-là.

L'ennui. Jeudi dernier, la primaire s'est invitée sur France 2. Surprise, cinq millions de téléspecteurs suivent ce débat a priori peu sexy. Battre « Masterchef » (sur TF1) est de bonne augure pour ceux qui veulent faire tomber "Hyperprésident". L'émission n'était certes pas des plus haletante, mais elle a permis d'aborder des sujets de fond : rigueur ou relance, démondialisation, libertés... Et le PS a pu présenter un éventail de convictions et de caractères finalement assez varié : Arnaud Montebourg n'est pas si éloigné de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Valls de François Bayrou. Ces deux outsiders développent chacun une pensée propre, affranchie des cadres socialistes classiques, et c'est plutôt rafraichissant. Plus sérieux, les deux favoris, Martine Aubry et François Hollande sont certes jumeaux sur le plan idéologique, mais très différents par leur personnalité.

Les déchirements. Une équipe unie malgré ses divergences, et c'est un spectacle dont les Français n'ont pas l'habitude. Qu'il y ait quelques coups de griffe (sur le nucléaire, sur « le pacte »...), quoi de plus naturel : une campagne sans quelques gnons n'en serait pas une. Aux Etats-Unis, les primaires donnent lieu à des batailles autrement plus rudes, sans que personne ne s'en alarme plus qu'à un match de catch : au final, tous les candidats et les militants se rangent derrière leur champion. Hillary Clinton et Barak Obama n'ont pas ménagé les coups en 2007-2008, ce qui n'a pas empêché par la suite la première de faire campagne pour le second, avant de devenir sa Secrétaire d'Etat.

A droite, pendant ce temps, c'est une "primaire" plus primaire qui a lieu. La sélection du candidat a lieu par élimination de ceux qui peuvent lui faire de l'ombre : Jean-Louis Borloo et ses amis sont accusés de trahison et l'on accroche Dominique de Villepin à un croc de Bourgi. Quel est le camp qui se déchire le plus?

La ringardise, enfin. A droite, c'est un chef qui est proposé ; à gauche, c'est un choix. A droite, on cherche à étouffer les dissidences ; à gauche, on cultive les différences et le peuple est invité à participer au débat et à la désignation du candidat. Quelle est l'approche la plus "moderne", pour reprendre le mot de Valérie Pécresse?

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