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Huitième round : doit-on imposer l’uniforme à l’école ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Lévy et Pascal Riché s'interrogent sur le retour de l'uniforme à l'école

Sur le champ de Battle en uniforme

Par Pascal Riché

Regardez ce tableau signé d'Henri Geoffroy. Il représente une classe de l'époque des "hussards noirs", avec des gosses au crâne rasé (bonne méthode contre les poux), aux blouses grises et bien repassées, aux pupitres bien rangés. Et une maîtresse parfaite, douceur et chignon soigné. Il ne manque plus que le tableau noir et la règle de fer pour que l'image soit parfaite.

C'est ce tableau qui orne le salon de l'hôtel du ministre de l'Éducation nationale : comme si l'école idéale, celle dont on rêve en plus haut lieu, était l'école de papa - ou plutôt d'arrière-grand-papa.

Le débat politique sur l'école parviendra-t-il à sortir de ce paradis perdu, rassurant et réactionnaire ? A écouter les différents candidats, tous défendent l'école d'hier, aucun ne défend l'école de demain. On "recentre l'école sur les fondamentaux". On fustige les "pédagogues". On ne trouve personne pour pleurer la disparition des IUFM... qui n'ont pourtant été remplacés par rien.

Les professeurs stagiaires, non formés donc, sont facilement envoyés dans les quartiers les plus difficiles sans que cela ne choque personne : "Un jeune professeur n'est pas forcément un mauvais professeur", se défend Luc Chatel, à qui j'ai récemment posé la question.

La tartufferie de l'uniforme

Le débat sur l'éducation est d'une pauvreté aussi crasse que les godillots des élèves du tableau d'Henri Geoffroy. L'UMP vient ainsi d'annoncer une "expérimentation" sur "un vêtement commun". Énorme ficelle !

Dans la presse ou sur le Web, c'est devenu "Fillon veut imposer l'uniforme à l'école". Objectif atteint : comment, en lançant un vague ballon d'essai déjà pas mal amorti, faire passer le message qu'on est super-réac sur l'école...

L'argument avancé par les partisans de l'uniforme est la nécessité de "gommer les inégalités". C'est d'une tartufferie sans nom. Couvrez ce sweat-shirt Abercrombie que je ne saurais voir ! Comment croire une seconde que des inégalités puissent disparaître sous une veste commune ?

La démagogie des 60 000 postes

François Hollande, pendant ce temps, se débat avec le chiffre magique (la création de 60 000 postes) qu'il a lancé pendant la campagne de la primaire socialiste. Quel sparadrap ennuyeux ! Il avait lancé l'idée au moment où montait la polémique sur la "gauche molle". On comprend bien ce qui est passé dans sa tête :

"Je vais t'en foutre, moi, de la gauche molle, tiens, prends toi ces 60 000 postes dans les dents ! On fait moins la maline, hein?"

Mais ce chiffre n'a aucun sens. Même les profs ont été atterrés : ce n'est pas ce genre de promesse qu'ils attendent, c'est une vision de ce que doit être l'école aujourd'hui, et ce que doit devenir leur métier. Mais la gauche se contente de dévoiler de futures largesses budgétaires -- qui seront, parions, réduites quand la bise sera venue.

Mais en attendant, les ténors du Parti, drapés dans une dignité toute hugolienne, peuvent répéter en boucle sur les plateaux de télé la phrase de Lincoln : «L'éducation coûte trop cher ? Essayez l'ignorance !»

Le bilan désastreux de la droite

Il est vrai que sur le terrain de l'éducation, la gauche n'a pas en la droite un adversaire très solide. Le gouvernement taille dans les horaires (une demi-journée en moins), taille dans les budgets, en expliquant bien sûr que cela permettra une amélioration de la qualité de l'enseignement... "Il faut moins de profs, ce qui permettra de mieux les payer", explique Luc Chatel.

Selon l'OCDE, cependant, le salaire des enseignants français, en euros constants, ne cesse de baisser depuis que la droite est au pouvoir et se situe désormais en dessous de la moyenne de l'Organisation : devant la Slovaquie, certes, mais derrière le Portugal.

Chatel justifie les coupes budgétaires actuelles par des chiffres globaux : "La dépense par élève est de 80% supérieure à 1980." Mais même si les classes sont moins chargées que dans les années 70, elles le sont plus que dans les autres pays européens. On compte en France 19,7 élèves par classe en élémentaire, contre :
- 10,7 en Italie,
- 12,1 en Suède,
- 13,3 en Espagne
- 14,8 aux États-Unis,
- 15,8 aux Pays-Bas
- 17,4 en Allemagne.

L'éducation est au cœur de l'économie, au cœur de toute stratégie pour le pays. Elle ne mérite pas ce débat aussi médiocre. Car de quoi parle-t-on essentiellement : blouse ou pas? Méthode globale ou pas ? La classe politique serait plus inspirée de se plonger dans les vraies questions : comment redonner du sens à l'école, comment la faire aimer des enfants, comment aider les élèves les plus fragiles et avancer sur la pédagogie différenciée, comment redonner enthousiasme et motivation aux enseignants, comment mieux impliquer les parents...

République et école sont intimement liées : quand les dirigeants politiques s'occupent avec enthousiasme de la seconde, c'est le signe que la première se porte bien. Mais l'inverse est hélas vrai : l'immobilisme sur l'école est signe de dépression collective. La campagne présidentielle pourrait être l'occasion de repartir d'un bon pied et rebâtir un nouveau contrat entre la nation et l'école. Mais pour cela, il faut sortir des débats poussiéreux sur l'uniforme ou la méthode globale.

Pascal Riché

Droite, gauche : zéro pour tout le monde

Par Elisabeth Lévy

Ah que la vie serait simple si chacun jouait sa partition. À droite il y aurait les réacs scrogneugneus, partisans des coups de règles sur les doigts, de la blouse grise et de l'autorité, à gauche les pédagos joyeux, défenseurs d'une école ouverte sur la vie, des profs sympas et des méthodes innovantes. Les uns construiraient des prisons, les autres de chouettes collèges baptisés « Steve Jobs », les uns brandiraient Racine, les autres la théorie du genre. On assisterait à la lutte entre la droite de l'ordre et la gauche de la justice, entre l'école des héritiers et l'université pour tous et nos certitudes à tous seraient bien gardées.

Tout fout le camp, même les idées simples et les clivages rassurants. Je ne sais pas s'il y a une austérité de droite et une rigueur de gauche mais en matière d'éducation, le clivage se résume à « Modernes contre Modernes », selon la formule de Philippe Muray. La destruction de l'École de la République aura été l'œuvre commune de la droite et de la gauche, et en réalité, de la nation tout entière. Le collège unique devait restaurer l'égalité en supprimant des différences entre filières qui avaient une sale tête de distinctions, il n'a fait que creuser les inégalités entre les établissements de centre-ville et ceux des quartiers pudiquement qualifiés de difficiles. Nous voulions, conformément au mot d'ordre de Jean-Pierre Chevènement, amener 80 % des élèves au bac, nous avons aujourd'hui un bac descendu au niveau de 80 % des élèves et des étudiants de premier cycle universitaires incapables d'écrire un français correct. À défaut d'honorer l'exigence du savoir, au moins respecte-t-on leur « droit au diplôme ».

« C'est aux jeunes de former la jeunesse », proclamait il y a quelques années une campagne de recrutement des enseignants. Nous y sommes : les élèves sont désormais des « enfants » ou des « ados ». Quant aux profs, il reste, il est vrai, une petite différence entre la droite qui voudrait en faire des DRH de la petite entreprise appelée « classe » et la gauche qui aimerait les transformer en animateurs socio-culturels chargés de réparer les injustices de la vie et de diffuser les idées nouvelles. Grâce au « livret de compétences », les parents peuvent se rassurer : si leur enfant est ignare en histoire de France ou nul en calcul, il sera formé à la « consommation responsable » et sera capable « d'identifier une situation de discrimination ». De toute façon, l'histoire de France, c'est dangereux et le calcul inutile puisqu'il y a des ordinateurs. Et pour penser, il y a des ordinateurs, aussi ?

Heureusement, l'UMP propose de rétablir le port de la blouse pour effacer les différences entre ceux qui ont « de la marque » et ceux qui n'en ont pas. Ce sera une grande satisfaction pour les profs de se faire agresser par des gamins vêtus de blouse plutôt que de joggings. Et pendant qu'on amuse la galerie avec cette brillante idée, le ministère de l'Education nationale prépare une réforme de l'évaluation des profs. Celle-ci serait confiée au chef d'établissement qui devrait noter son « salarié » selon quatre critères : la capacité à faire progresser chaque élève ; les « compétences dans sa discipline »; la « pratique professionnelle dans l'action collective de l'établissement » ; et la « qualité du cadre de travail ». En clair, on jugera les profs sur leur capacité à « tenir leur classe » et à ne pas faire de vagues. Quant aux « compétences dans la discipline », il faudra expliquer comment le chef d'établissement devenu patron de PME sera à même de les apprécier. Chichis-pompons que tout cela : si nos profs parviennent à faire en sorte que les gamins ne deviennent pas des petits barbares, ils auront mérité de la patrie.

On espère que la gauche montera au créneau dans la foulée des syndicats. De toute façon, François Hollande a trouvé la solution-miracle : demain on recrutera gratis. Comme Hollande est un type sérieux, il promet qu'il trouvera un Pierre à déshabiller pour habiller Paul. Fort bien. Sauf que si le problème tenait aux moyens, ceux qui ont été engloutis dans l'Éducation nationale auraient dû améliorer les choses. Le PS ne va pas froisser une population qui constitue son cœur de cible en s'interrogeant sur la qualité des enseignants plutôt que sur leur quantité. Certes, de nombreux profs résistent à la démagogie générale dans des conditions héroïques. En attendant, cette année, près de mille postes ouverts au CAPES n'ont pas été pourvus, ce qui signifie que les jurys n'ont pas trouvé de candidats conformes à leurs exigences — plutôt modérées au demeurant. Mais allez draguer l'électeur avec ça.

J'ignore s'il se trouve encore des sociologues pour affirmer que « le niveau monte » mais la publication par l'Insee du Portrait social 2011 de la France n'a pas fait les gros titres des journaux. On y apprend que depuis une dizaine d'années, la proportion d'élèves en difficulté « face à l'écrit » a augmenté et concerne aujourd'hui « près d'un élève sur cinq en début de 6e ». Pour les élèves les plus faibles, « la maîtrise des mécanismes de base de la lecture est stable, mais les compétences langagières (orthographe, vocabulaire, syntaxe) sont en baisse, ce qui explique l'aggravation des difficultés de compréhension des textes écrits. » Ce constat déprimant devrait résonner comme un appel à la mobilisation générale pour l'ensemble de la classe politique. On repassera. Sur l'école, il n'y a plus ni droite ni gauche, il n'y a plus que le Parti de la jeunesse. C'est-à-dire celui du renoncement.

Elisabeth Lévy

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