Dixième round : Pour ou contre le droit de vote des étrangers ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Pascal Riché, co-fondateur et rédacteur en chef de Rue89 et Daoud Boughezala, rédacteur en chef adjoint de Causeur.fr s'interrogent sur le droit de vote des étrangers.

Pour le droit de vote des étrangers : les arguments d'un ex-étranger

Par Pascal Riché

Pour une fois, tiens, allez : je suis d'accord avec Nicolas Sarkozy. Pas le Sarkozy de 2011, prisonnier de son extrême droite, mais celui de 2005, qui déclarait dans un éclair de franchise :

« A titre personnel, je considère qu'il ne serait pas anormal qu'un étranger en situation régulière, qui travaille, paie des impôts et réside depuis au moins dix ans en France, puisse voter aux élections municipales. »

Seule divergence avec lui, le délai de carence de dix ans qu'il proposait alors : trois ans me sembleraient largement suffisants, comme c'est le cas par exemple dans les pays scandinaves.

Ce que signifie « chez moi » pour un étranger

J'ai été un étranger. Pendant six ans, entre 2000 et 2006, j'ai habité dans un autre pays, les Etats-Unis. Au début, je n'avais pas du tout envie de participer aux élections dans ce pays qui me semblait très exotique.

Je me suis coulé peu à peu dans la vie locale. Barbecue avec mes voisins, participation aux réunions de l'école du quartier, paiement des impôts (lourds dans cette ville surendettée)...

Un jour, environ trois ans après mon installation, je me suis rendu compte que lorsque je disais « chez moi » (ou « home »), ce n'était plus pour désigner Paris mais Washington.

C'est précisément à cette époque que j'ai commencé à être agacé par le fait de ne pas pouvoir voter. Pourquoi, à la différence de mes amis Français vivant à quelques centaines de mètres de là, dans le Maryland, n'avais-je pas mon mot à dire sur les problèmes de voirie, de transports, ou sur la politique scolaire de ma ville ?

Pour la Droite populaire, la patrie est en danger

Pour avoir vécu concrètement cette situation, je comprends toujours mal les arguments de ceux qui refusent de donner le droit de vote aux étrangers. Ces arguments ne sont pas pragmatiques ou humains. Ils ne cherchent pas à améliorer le fonctionnement de la société, mais à polir des symboles. Ils sont au mieux purement idéologiques, au pire franchement xénophobes.

Jetez un œil au site qui héberge la pétition contre le droit de vote des étrangers lancée par la Droite populaire, c'est édifiant. Les symboles de la République sont là, au grand complet : faisceaux du licteur, écharpe tricolore, buste de Marianne... L'incontournable « Liberté guidant le peuple » est flanquée d'un mégaphone rouge vif. Ne manque que la Marseillaise en fond sonore. Aux barricades, citoyens, la patrie est en danger !

« En 2014, souhaitez-vous que quatre millions d'étranger choisissent 36 000 maires de France ? », s'étranglent les auteurs du site. Comme si le but caché des socialistes et des écologistes était de livrer les mairies à l'anti-France !

Xénophobie latente

Sur les quatre millions d'étrangers visés par la Droite populaire, 1,5 million sont d'origine européenne et votent déjà aux élections. Sans que cela ne pose de problème. Qu'un Luxembourgeois ou un Néerlandais vote pour ses édiles locaux ne gêne personne ; ce qui coince visiblement — mais ce n'est jamais dit — c'est qu'un Maghrébin ou un Africain puisse le faire.

« Il faut faire attention avec ces questions de droit de vote aux étrangers », m'expliquait lundi un très proche de Sarkozy. « Plus de 30% des Tunisiens de France ont voté pour les islamistes. » Se demande-t-on qui était visé par ce vote ? Pour de nombreux Tunisiens de France, le vote Ennahda était un vote identitaire et protestataire, lié non pas à la situation de la Tunisie, mais à leur propre situation en France. Ce vote était un moyen d'expression, ils s'en sont servis.

Autre argument avancé par ceux qui rejettent le droit de vote des étrangers : la réciprocité. Vous ne pouvez voter chez nous parce que nous ne pouvons voter chez vous. C'est une logique aussi puissante que celle qui consiste à refuser la construction de mosquées au motif qu'il n'existerait pas ou peu d'églises dans tel ou tel pays arabe. Poussons-la jusqu'à l'absurde : fallait-il abolir la peine de mort pour tous, y compris pour les assassins iraniens, chinois ou américains ?

La sainte trinité jacobine

Puis vient dans l'argumentaire classique le mystère de la trinité jacobine : citoyenneté, nationalité, droit de vote.

Impossible d'imaginer l'une de ces hypostases sans les deux autres, nous dit-on, « hi tres unum sunt ». On touche là à la mystique.

Mais pourquoi, si le droit de vote est si sacré, ne pas l'interdire aux étrangers pour les élections des délégués de parents d'élèves dans les écoles ou du personnel dans les entreprises ? Pourquoi l'avoir accordé, pour les élections locales et européennes, aux ressortissants de l'UE ? « C'est différent, car il y a la citoyenneté européenne », rétorquera-t-on. Dans ce cas, reconnaissons une citoyenneté locale. Je me sens, pour ma part, très citoyen de ma ville.

Dernier argument, à mon sens le plus grotesque : cette histoire de droit de vote des étrangers serait un truc de « bobos déconnectés du peuple ». Ou, dans le vocabulaire de la Droite populaire :

« Ce n'est pas la priorité de nos compatriotes.[...] La gauche ne parle plus à l'électorat populaire, elle cherche à se constituer un nouveau bataillon d'électeurs. »

Mais qui est déconnecté du peuple, dans cette affaire ? Selon un sondage BVA pour Le Parisien, 61% des Français approuvent l'initiative sénatoriale d'accorder le droit de vote des étrangers ! On est proche des deux Français sur trois chers à Giscard.

Ces sondés-là ne sont pas des idéologues : ce sont des Français qui ont, simplement, des amis et des voisins étrangers. Qui fréquentent, à la sortie de l'école, des parents d'autres pays. Qui considèrent le droit de vote comme un outil utile de participation et d'intégration, pas comme un totem de souveraineté. Qui sont ancrés dans la vie réelle, bien loin des constructions symboliques et autres fantasmes identitaires.

Pascal Riché

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Devenir Français et voter, pour ne plus se sentir « humiliés »

Etre citoyen du monde, c'est pas si facile…

Par Daoud Boughezala

J'ai ouï dire que le Parti Socialiste et ses alliés de gauche — à l'exception heureuse de Jean-Pierre Chevènement- s'attelaient à la réalisation d'une des 110 promesses du candidat Mitterrand. Trente après, il serait temps ! La rose du Panthéon ayant fané, ne restent plus que les dahlias que les fossoyeurs du socialisme ont déposés autour de son linceul. Du programme jusqu'au-boutiste de 1981, le seul survivant est donc le droit de vote et d'éligibilité accordé aux étrangers (non-communautaires, devrait-on préciser depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht), exhumé par un Sénat fraîchement passé à gauche.

Une mesure présentable pour pas un rond, annoncée comme nouvelle matrice identitaire d'une gauche minoritaire à l'Assemblée Nationale, donc incapable de réformer la Constitution pour la voir adoptée. A court terme, c'est tout bénéf pour le vote FN. En attendant que Marine Le Pen monte, monte, monte comme une bête immonde et offre son lot de sueurs froides à nos élites en mal de sensations, ce marronnier revient avec les frimas de l'automne. Soit, examinons-le !

Nous intimant de déduire la norme du fait, la plupart des chroniqueurs politiques emboîtent le pas au Sarkozy 1.0 qui promettait de faire voter les étrangers aux élections locales. Pour les in-té-grer nous rabâche-t-on ! Longtemps promoteur du vote des étrangers, le Président de la République a récemment fait machine arrière, sans fondamentalement renoncer à sa conviction, mettant lui aussi en avant les difficultés du contexte (traduire : de sa réélection).

Sur ce point, il paraît que les Français sont sarkozystes ancienne manière — puisqu'un sondage nous apprend opportunément que 60% des Français approuvent cette réforme. Le nouveau raisonnement dominant soutient en effet qu'après dix ans de résidence, un étranger devrait légitimement pouvoir participer aux municipales. Le président de l'Office national de l'Immigration Arno Klarsfeld réplique qu'il adhèrerait à cette belle idée en période de basse tension identitaire.

On a connu l'avocat à rollers plus mal accompagné, puisque l'ami Marc Cohen ne lui chipote pas son soutien. Sa démonstration n'en est pas moins boiteuse.

À ce premier argument, je répondrais qu'a fortiori en période de douce « intégration », le vote local des étrangers ne se justifie pas. Imaginons une France idéale aux immigrés parfaits, tous voués à une participation pleine et entière au bien commun national (oui, ne serait-ce qu'un instant, plongeons-nous dans le monde merveilleux de Martine Aubry…). Dans ce cas-là, ces êtres d'exception auraient à cœur de « s'intégrer » au corps français existant… en acquérant la nationalité française, tout bêtement. Si nos âmes généreuses sont si belles qu'elles le disent, qu'elles naturalisent tous leurs immigrés chéris ! L'acte serait peut-être irresponsable, mais je leur accorderai au moins le bénéfice de la cohérence.

Parce qu'en France, suivant un modèle que l'on est en droit d'aimer ou de rejeter, la citoyenneté est indissociablement liée à la nationalité, malgré l'entorse juridique et civique qui découle du vote des « étrangers européens » aux élections municipales et… européennes. Ce non-sens politique, en l'absence de citoyenneté européenne, a ouvert une brèche dans laquelle s'engouffrent tous les tenants d'un droit de vote sans frontières. Si d'aventure l'on décidait de disjoindre la citoyenneté de la nationalité, c'est l'ensemble de notre modèle républicain qu'il faudrait démanteler. Pourquoi pas après tout, du fait de l'épuisement de la machine assimilationniste, l'idée de communautés autonomes suivant le modèle ottoman des millets peut séduire certains esprits imaginatifs. Or, on ne joue pas avec la diversité des droits sans se brûler les doigts : si l'on confiait le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers, demain, combien de réseaux d'immigration clandestine mettraient les bouchées doubles pour constituer des ghettos insubmersibles ? Combien de quartiers deviendraient de nouvelles enclaves maghrébines, africaines ou asiatique où le passeport français n'aurait pratiquement plus droit de cité ?

Klarsfeld complète sa démonstration boiteuse en arguant que le vote et l'éligibilité des étrangers multiplieraient les candidatures islamistes aux portes de nos villes. Cette prévision est moins catastrophiste qu'elle n'en a l'air. Seulement, les listes islamistes, droit de vote étranger ou pas, au vu de l'état d'éclatement de la nation France, nous les aurons tôt ou tard, quoiqu'en dise l'optimiste Arno Klarsfeld. Il suffit de lire les résultats tonitruants du parti Ennahda auprès des Tunisiens de France pour se persuader que la maison brûle aux dépens de ses occupants anciens ou récents.

J'entends d'ici la complainte de mes adversaires : « Discrimination ! ». Que je les comprends : j'ai toujours vécu comme une injustice le fait de ne pas participer aux élections serbes, afghanes ou libyennes. Mais comme je ne défends ni le droit de vote ni l'ingérence universels, je me résigne à n'être citoyen que de mes deux pays sinistrés, la France et la Tunisie. Stéphane Hessel aura beau s'indigner du haut de son râtelier (navré, je discrimine aussi les vieux, et pan !), le concept de « citoyen du monde » est aujourd'hui totalement creux et inconsistant. Dans mille ans peut-être, une communauté politique mondiale se développera à partir de valeurs et de significations partagées par l'humanité entière. En attendant, nous vivons dans un monde de frontières et de différences (qui ne sont pas toutes synonymes d'atroces inégalités) qui en font la richesse et la complexité, si mal appréhendées par nos universalistes abstraits !

Avant que Bachar al-Assad puisse être élu maire de Neuilly au cours d'une prochaine retraite dorée, de l'eau aura coulé sous l'Oronte et la Seine. Je ne sais combien de révoltes arabes seront passées par là. Mais, sondages ou pas, dans l'Hexagone, cela m'étonnerait beaucoup que la gauche gagne sur la calembredaine de « la France qu'on aime »…

1/ J'aggrave mon cas en n'étant aucunement tributaire du droit du sol (auquel cas je ne voterais qu'à Sidi bou Saïd !) mais reconnaissant au si vilain droit du sang, par lequel je tire la puissance de mes deux lignées.].

Daoud Boughezala

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