Dix-neuvième round : Sarkozy a-t-il vraiment mis un coup de barre à droite ?

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Cyril Bennasar de Causeur.fr et Pascal Riché, de Rue89, s'interroge sur la prétendue « droitisation » du candidat Sarkozy.


Sarkozy n'est pas le Margaret Thatcher de la France

Par Pascal Riché

Un portrait a fait son apparition sur les murs du métro parisien et de nombreuses villes de France : pas celui de Nicolas Sarkozy en train d'endosser ses habits neufs de candidat, mais celui de Margaret Thatcher, brillamment incarnée au cinéma par Meryl Streep.

La coïncidence entre la sortie du film « La Dame de fer » et l'annonce de la candidature (oh surprise ! ) du Président sortant me renvoie au soir du 6 mai 2007, lorsque Rue89 s'est lancé, parallèlement à l'élection de Nicolas Sarkozy.

A 20 heures, une image est apparue sur la page d'accueil de Rue89, signée de notre ami Robin King, réalisant un « morphing » exceptionnel entre Nicolas Sarkozy et Margaret Thatcher. Nous l'avions baptisé « Margaret Kärcher », en référence à la fameuse sortie du ministre de l'Intérieur sur la « Kärchérisation » des banlieues.

Nous avions tort. Nous avions surestimé Nicolas Sarkozy, trop écouté son discours sur la « rupture », cru — sans l'espérer — en sa volonté et capacité de mettre en œuvre le programme réformateur qu'il défendait.

Nicolas Sarkozy n'a assurément pas transformé la France autant que Margaret Thatcher a changé la Grande-Bretagne (certes, en onze ans au pouvoir), et même au-delà par son influence idéologique ultralibérale. Quel que soit le jugement de valeur sur les réformes qu'il incarnait, force est de constater qu'il n'y a pas eu de « rupture », pas même d'inflexion majeure.

Rassembler son camp

A l'approche de l'élection présidentielle, voilà que la machine idéologique se remet en route, et tente de présenter un Sarkozy nouveau, une sorte de « rupture dans la rupture » destinée à convaincre son électorat désenchanté que, cette fois, c'est sûr, on fera tout ce qui n'a pas été fait.

Et la reconquête se fait d'abord sur le terrain des valeurs. C'est le mot-clé de l'heure, plus « pratique » qu'un programme détaillé car plus difficile à traduire en termes concrets. C'est d'ailleurs le titre de l'interview « preview » de campagne donnée par Nicolas Sarkozy au Figaro magazine, le fidèle compagnon de route du candidat UMP.

On pourrait en faire une lecture purement idéologique, celle de la « droitisation » de la campagne de Nicolas Sarkozy, dans la droite ( ! ) ligne du discours sécuritaire de Grenoble, de la campagne sur l'identité nationale, ou des saillies sur l'immigration et l'islam.

On pourrait prendre pour argent comptant les confidences de Claude Guéant aux oreilles des étudiants de l'UNI sur les « civilisation qui ne se valent pas toutes », et la mise au point du ministre de l'Intérieur confirmant sur Canal + que c'est la religion musulmane, pas la « civilisation » musulmane qu'il visait...

Mais ce serait reproduire l'erreur de 2007 que de prendre au mot Nicolas Sarkozy. L'objectif aujourd'hui, pour le candidat UMP, n'est pas de mener une bataille idéologique — à l'opposé d'une Thatcher à qui l'ont doit reconnaître le mérite d'une cohérence à toute épreuve — mais de rassembler son camp pour se relancer dans la course.

Le Président sortant a réussi une première fois à réunir au sein du « parti unique » UMP toutes les sensibilités de la droite, des marches de l'extrême droite à celles du centre et même du centre gauche. Cette grande coalition a volé en éclat pendant le quinquennat, principalement sous l'effet de l'inconstance présidentielle et des ambitions personnelles contrariées.

Grand écart idéologique

A l'approche du scrutin, cette grande coalition se reconstitue, mais en réunissant ceux qui ne sont pas parvenus à s'inscrire durablement hors du giron — de Jean-Louis Borloo à Christine Boutin en passant, demain, par Hervé Morin du côté du centre —, jusqu'à la droite populaire qui s'est constituée en courant à l'autre extrême de l'échiquier de l'UMP, pas si loin du FN.

La campagne de Nicolas Sarkozy risque d'être à l'image de ce grand écart idéologique, avec un pôle chargé d'aller parler aux brebis égarées du côté de Marine Le Pen, et une aile centriste chargée de rassurer les bourgeois.

Dans l'affrontement classique droite-gauche qui s'annonce, Nicolas Sarkozy a besoin de cliver pour faire apparaître l'« autre » comme effrayant, un danger pour une France qui aurait tout intérêt à rester avec le Président actuel, certes imparfait, mais prévisible, plutôt que de choisir « l'aventure »...

Ce faisant, Nicolas Sarkozy devient le Margaret Karcher du pauvre, une « Dame de fer » un peu rouillée, qui tente de bomber le torse sans réellement impressionner.

Pascal Riché

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Un coup de barre à droite ? Oui, mais quand ?

Par Cyril Bennasar

Avant la parution du Figaro Magazine, j'avais l'impression d'avoir déjà lu l'entretien qui a marqué l'entrée en campagne de Nicolas Sarkozy puisque, comme souvent, les commentaires ont précédé le texte. Les critiques étaient unanimes. Et depuis samedi, les éditorialistes de gauche, d'une seule voix et en deux mots - ce qui prouve qu'ils sont partageux — analysent tous l'intervention du Président comme un « coup de barre à droite ». Bref, on a rarement assisté à un numéro de Dupont et Dupond aussi réussi. « Droitisation », s'écrient les uns. Je dirais même plus « extrême droitisation », ajoutent les autres. Dans Le Parisien, Nathalie Schuck parle d'un «brutal virage à droite », avant d'évoquer l'ombre de Patrick Buisson : « L'ex-patron de l'hebdomadaire d'extrême droite Minute et de Valeurs actuelles sera une des têtes pensantes de la campagne. » Dans Libération, on a droit à de très relatives variations sur le même thème : « Le candidat Sarkozy se lance à droite. Clairement à droite, avec des «idées neuves» manifestement inspirées de son conseiller Patrick Buisson, ancien patron de Minute et inventeur du mémorable débat sur «l'identité nationale.» Pour Eva Joly‎, le candidat-Président « braconne sur les terres de la droite extrême ». Pour Philippe Douste-Blazy, il est « aux antipodes des idées humanistes ». Oui, je classe Douste-Blazy à gauche, pas vous ?

Rarement les éléments de langage de la gauche politique et médiatique auront été repris avec autant d'entrain.

Après la « droitisation », la « manœuvre électoraliste ». C'est curieux, mais pour les adversaires du Président, il est indigne de chercher à séduire les électeurs, surtout en période de campagne électorale, et surtout ces électeurs-là : ce qui serait digne, ce serait de montrer aux Français qui s'apprêtent à voter pour Marine Le Pen qu'on les méprise. D'ailleurs, François Hollande et les autres affirmeront certainement haut et fort qu'ils ne veulent pas de leurs voix. Tout ce qui vise à obtenir l'adhésion du peuple est populiste, tout ce qui répond à ses attentes est démagogique. Le référendum est particulièrement suspect puisqu'il fait forcément appel aux bas instincts du peuple qui, on le sait, pense mal et ne vote pas mieux. Il est souverain certes et tous les démocrates proclamés s'en réjouissent mais la démocratie est une chose trop sérieuse pour être confiée à l'électeur. La preuve, il a voté Sarkozy — et quoi qu'en disent les Madame Irma de la politique qui connaissent déjà le résultat, il pourrait même recommencer.

Attiré par cet affolement du braillomètre (instrument qui mesure l'indignation braillée dans les médias), alléché par l'odeur du kärcher et du charter, je me jette sur l'interview.

À propos du référendum sur le chômage — qui a fait cartonner le braillomètre -, je découvre que l'omission a carrément viré au mensonge. À en croire la presse, le Président aurait, d'emblée, sorti de son chapeau cette mesure pour remettre les chômeurs au travail de gré ou de force. À la lecture du texte, on découvre qu'il s'agit d'envoyer les sans-emplois en formation (quelle cruauté) et, par-dessus le marché, que c'est seulement après des négociations entre partenaires sociaux, en cas de blocage et en dernier recours, qu'il est envisagé d'en appeler au peuple. Il fallait bien, pour justifier l'accusation d'électoralisme, broder et faire croire que le Président allait organiser un référendum « pour ou contre les chômeurs ». J'ignore si le référendum est la solution, mais pour les bons commentateurs, il n'est même pas question de se poser la question.

À la réflexion, pourtant, je me demande si je ne préférais pas la version fantasmée par la gauche à la vraie. Autant le dire, j'ai été un peu déçu. Rappel des fondamentaux, le travail, l'autorité, la responsabilité, très bien. « Un virage brutal », sûrement pas et c'est bien dommage. Après une si longue dérive à gauche, (si le coup de barre est de droite, on peut supposer que la dérive est de gauche), après la discrimination positive, les peines de prison non effectuées, l'immigration qui s'accroît ou le mariage gay (que le Président semblait vouloir défendre il y a peu), il fallait bien cela pour retrouver le cap et les Français qui l'ont fait élire en 2007.

Me voilà rassuré, mais pas emballé pour autant. La fréquentation des humanistes autoproclamés de l'UMP qui depuis cinq ans jouent les offusqués et sabotent toute tentative de redressement, n'a pas fait perdre à Sarkozy le bon sens et la raison. Le coup de barre à droite, je l'attends encore. Délestée des boulets centristes et à la manœuvre pour appliquer les promesses de campagne de 2007, la garde rapprochée du Président ferait une formidable machine à gagner pour la France. Un gouvernement déterminé contre vents, marées et Nouvel Obs, à stopper ou au moins à réduire drastiquement l'immigration, boucler les criminels, remettre de l'ordre et du savoir à l'école et pourquoi pas, à imposer du pluralisme dans l'audiovisuel public, avec à la barre un Président courageux et décomplexé, j'en rêve. Un Guaino qui aurait carte blanche pour traiter avec l'Allemagne et remettre l'Europe au service des peuples, un Luca ou un Myard à la Justice pour recadrer un Syndicat de la magistrature dévoyé dans l'exercice d'une justice politisée, un Guéant qui couvrirait sa police dans l'exercice de la violence légitime, c'est tout ce que je veux. Et pour finir, une famille politique dirigée par un chef juste mais sévère, humaniste mais ferme, qui rend hommage aux résistants d'hier quand d'autres vont à Vienne danser avec le diable ou ses ersatz en culotte de peau, qui restaure une laïcité intransigeante et résiste aux exigences communautaires, je ne demande que ça. Tout cela, hélas, je ne l'ai pas lu dans le Fig Mag et je ne le vois pas venir.

Pour effaroucher la gauche, Nicolas Sarkozy a gardé la main. C'est plutôt un bon signe mais cela ne suffira pas. Quand son challenger tente de rassembler en évitant soigneusement les sujets qui divisent, lui ne craint ni les clivages, ni les arbitrages : c'est un atout pour séduire le peuple de droite attaché à l'autorité, à la responsabilité et à la valeur du travail. Mais pour ramener à lui ses électeurs de la dernière fois partis se faire braconner par d'autres, il faudrait que le Président vire à tribord toute. Quoi qu'il fasse, Libé, les Inrocks ou Marianne l'accuseront de diviser, stigmatiser et discriminer. Si perdre le centre lui permet de rassembler une majorité de Français, la démocratie y gagnera. Mais ça, je vous parie que vous ne l'entendrez ni à Canal + ni sur France Inter.

Cyril Bennasar


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