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Cinquième round : la laïcité, vrai problème ou appât à voix

Chaque semaine pendant la campagne, Yahoo! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur.fr sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Lévy et Pascal Riché s'interrogent sur la laïcité.

Comment Guéant et Sarkozy ont abîmé la laïcité

Par Pascal Riché

L'enterrement du débat sur la laïcité, vendredi, n'a pas fait trop de bruit. Sur le cercueil, le ministre de l'Intérieur Claude Guéant n'a pas jeté de pétales de roses, mais 500 pages tirées des tréfonds de l'histoire républicaine : extraits de la déclaration des droits de l'homme, de la Constitution, loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat, loi sur le voile, textes de jurisprudence...

Comme si cette profusion de textes pouvait enfouir les bêtises de ces cinq dernières années. Dans la perspective de gagner des électeurs à droite, Guéant et Sarkozy ont joué avec la laïcité comme on joue avec le feu. Ils ont réveillé un débat nauséabond et ont été éclaboussés. Les Américains ont une expression imagée pour décrire ce genre de situation : "The shit hit the fan", la merde a rencontré le ventilateur.

Au final, seul le coprophage Front national en a profité. En présentant son rapport ("Laïcité et liberté religieuse, recueil textes et de jurisprudence", éditions Journaux Officiels), Guéant a voulu clore le débat, mais c'est un peu tard. Drame en trois acte.

Acte I. Le chanoine de Latran

La laïcité se portait en France comme un charme. Il y avait parfois quelques accrocs comme il y en a toujours eu depuis 1905, mais plutôt moins qu'avant.

Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir, brandit comme un étendard un nouveau concept : la "laïcité positive". Sous-entendant que la laïcité héritée de la République était "négative", c'est-à-dire antireligieuse. Un contresens, en réalité : la laïcité, c'est avant tout le respect de la liberté de conscience. Mais ce faisant, Sarkozy va s'autoriser à mêler discours religieux et autorité publique.

Dans le fameux discours de Latran, le 20 décembre 2007, Nicolas Sarkozy va plus loin : il pose le principe de la supériorité de la morale religieuse par rapport à la morale laïque et vante les "racines chrétiennes de la France". Un discours conçu pour séduire une France en quête de repères et qui s'inscrit dans la tradition de la droite française la moins républicaine. L'idée étant évidemment de résister à la concurrence du FN.

Acte II. OPA du FN

Sarkozy abandonnant la laïcité, le Front national se rue dessus. Pour stigmatiser l'islam, Marine Le Pen trouve en ce concept républicain un instrument autrement plus puissant que "les racines chrétiennes" de la France. Et elle se met à l'exploiter à fond.

Face à cette offensive de la laïcité version "saucission pinard" - et "négative" pour le coup -, Nicolas Sarkozy et Claude Guéant rament. Que faire ? Ils ont déjà lancé le débat calamiteux sur l'identité nationale. Ils persévèrent dans l'erreur : au printemps dernier, ils reprennent la laïcité comme arme de stigmatisation de l'islam. Guéant explique alors :

"En 1905, il n'y avait très peu de musulmans [...] l'accroissement du nombre des fidèles de cette religion, un certain nombre de comportements, posent problème."

Les mêmes qui voulaient réconcilier religion et Etat se mettent à fustiger la menace que feraient peser des signes religieux sur les services publics. L'adversaire est présenté sous un visage absolument terrifiant : celui de la mère de famille qui - ô crime de lèse-laïcité ! - ose accompagner une sortie scolaire sans avoir préalablement retiré son voile !

Tout cela frise le ridicule, au point de faire tanguer l'UMP : le premier ministre François Fillon et la ministre des solidarités Roselyne Bachelot décident de sécher le débat sur la laïcité organisé par le parti.

Acte III. Opération rétropédalage

"Il n'est pas question de revenir sur la loi de 1905", clame aujourd'hui Claude Guéant en présentant sa compilation de textes qu'il a baptisée pompeusement "code".

Pour ce qui est de la terrifiante maman accompagnatrice des sorties scolaire, la décision de lui faire enlever ou non son voile est renvoyée à l'échelon de l'établissement scolaire. La laïcité, qui était devenue la " laïcité positive ", est maintenant, selon Guéant, "la laïcité positive apaisée".

Y aura-t-il une suite ? " La laïcité positive apaisée bienveillante raisonnée ? " On en rirait si ce qui se cachait derrière cette tambouille sémantique n'était pas un recul du respect de l'autre, du consensus républicain et, au final, de nos libertés.

Pascal Riché

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La laïcité, c'est bon pour les Français ?

Par Elisabeth Lévy

Panique au quartier général : le "Printemps arabe" ne respecte pas le scénario écrit dans les rédactions parisiennes. Il y a quelques mois, s'inquiéter d'éventuels nuages islamistes susceptibles d'assombrir le beau ciel bleu de la démocratie en marche valait brevet d'islamophobie, voire de racisme : "Bien sûr, vous pensez que la démocratie n'est pas bonne pour les Arabes", nous disait-on. Les mêmes belles âmes se demandent aujourd'hui si cela valait le coup de renverser Kadhafi, comme si, en échange de notre intervention, les Libyens avaient promis de devenir comme nous - le même raisonnement valant, au-delà des différences de situations, pour l'Egypte et la Tunisie. Les belles âmes devront s'y faire : même quand on sait mieux qu'eux ce qui est bon pour eux, il est devenu impossible de changer les peuples.

Le plus amusant est que tous ceux qui prétendent aujourd'hui offrir au monde arabe - qui malheureusement n'en demande pas tant - la laïcité à la française, hurlent à la lepénisation et à la stigmatisation dès qu'on évoque les menaces que l'évolution de l'islam dans notre pays fait peser sur le pacte laïque : ici avec les exigences de repas hallal à la cantine, là avec la contrainte pesant sur nos femmes et jeunes filles issues de l'immigration, ailleurs avec des femmes refusant, volontairement ou pas, d'être soignées par un homme. Peu importent les rapports du Haut Conseil à l'Intégration, peu importent les conflits qui se multiplient dans les entreprises, si on n'en parle pas, c'est que ça n'intéresse pas les gens. En somme, il faudrait défendre la laïcité là où elle n'existe pas et l'abandonner là où elle est, depuis plus d'un siècle, notre grammaire commune. Un confrère et ami à qui je faisais remarquer que cette question avait été totalement absente de la primaire citoyenne, m'a fait cette réponse, merveilleusement autoréférentielle: "Cela veut bien dire que cela n'intéresse pas les Français". Et vous pleurerez demain sur le vote Le Pen ?

En effet, si "laïcité" est devenu un gros mot, en particulier à gauche, c'est parce qu'il a été souillé par Marine Le Pen. Après Elisabeth Badinter qui notait récemment que la présidente du FN était la seule à s'en préoccuper, la philosophe Catherine Kintzler se demande, chez mes estimables camarades de battle, comment la laïcité a été offerte au Front National. Certes, la philosophe renvoie dos à dos la laïcité ouverte de la gauche et l'extrémisme laïque prêté à la droite (que j'aimerais pour ma part plus extrémiste encore sur la question), mais le constat est sans appel : défendre la laïcité, c'est lepéniste - puisqu'on vous dit qu'elle n'est pas menacée, sinon par les cathos intégristes ou les Juifs ultra-orthodoxes (qui seraient effectivement un danger s'ils étaient plusieurs millions et exigeaient que la France s'adapte à eux). J'invite mes camarades et lecteurs à lire l'ouvrage du journaliste américain Christopher Caldwell, Une révolution sous nos yeux, soigneusement ignoré par la presse convenable : il leur sera difficile d'opposer à cette enquête minutieuse les éructations habituelles (1).

Du coup, quand l'UMP ou le gouvernement tentent une quelconque avancée sur ce terrain, c'est la crise de nerfs générale. Ces salauds, ils ne font rien que draguer les électeurs du FN. Or, les électeurs du FN, on ne leur cause pas, comme ça on pourra les engueuler après l'élection. S'ils n'apprécient pas les prières de rue, s'ils ne trouvent pas que l'imposition, dans certains quartiers, de codes culturels se réclamant de l'islam le plus rétrograde est une magnifique expression de la diversité, s'ils affirment, scrutin après scrutin, qu'un pays multiethnique comme la France n'a pas nécessairement vocation à devenir une nation multiculturelle, c'est que ce sont des " gros cons " pour reprendre l'aimable expression de Sophie Ahram, chroniqueuse rebelle.

Dans ces conditions, on comprend que le "Code de la laïcité" présenté il y a quelques jours par Claude Guéant n'ait guère intéressé la corporation. Il est vrai que sur ce coup-là, on peut difficilement l'accuser d'extrémisme puisque ce document n'est qu'une compilation des textes existants et que le ministre a sagement renoncé à interdire les mères voilées de sorties scolaires. Mais combien de fois devra-t-on vous dire qu'il n'y a pas de problème, à part dans la tête de quelques réacs, beaufs et autres fachos ?

Eh bien désolée mais il y a un problème et il faut se demander comment il peut être invisible pour une partie de nos élites quand il est si angoissant pour une partie de nos concitoyens. Le problème, ce ne sont pas les Musulmans mais les difficultés d'acculturation d'un certain islam, malheureusement de plus en plus répandu. Et on ne le fera pas disparaître par l'indignation. Je persiste pour ma part à croire que "la démocratie, c'est bon pour les Arabes" et que "la laïcité, c'est bon pour les Français". Y compris, et peut-être surtout, pour les Français musulmans.

(1) - Une révolution sous nos yeux, Comment l'islam va transformer la France et l'Europe, préface de Michèle Tribalat, Editions du Toucan

Elisabeth Lévy

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