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En 2012, soutenons DSK !

Tout le monde sait que DSK a tenu une conférence à Cambridge, peu de gens savent ce qu'il a dit. Les associations étudiantes qui s'opposaient à sa venue ont fait assez de bruit pour couvrir les propos de l'ancien directeur du FMI. En lançant une recherche à partir des mots « DSK » et « Cambridge », sur Yahoo! France, on obtient 21 900 résultats. En revanche, si on ajoute le mot « trilemme » dans la barre de recherche, 12 résultats seulement. Pourquoi « trilemme » ? Parce que ce mot figure dans le titre de la conférence donnée par DSK : «Histoire de trois trilemmes ».

Trilemme ?

Si DSK avait été candidat à l'Elysée, ce n'est pas le genre de mot qu'il aurait utilisé pour faire vibrer les foules. Un trilemme ? Mais c'est quoi ?

« Un trilemme est une situation dans laquelle trois objectifs également souhaitables ne peuvent être atteints simultanément, obligeant à en choisir deux sur les trois. » Voilà ce que nous expliquent « Les Echos », l'un des rares quotidiens à s'intéresser à ce que dit DSK.

Jusque là, tout le monde suit. Mais les trilemmes, c'est comme les Auvergnats… Tant qu'il n'y en a qu'un, ça va. C'est quand il y en a plusieurs que ça pose des problèmes. Or dans sa conférence, DSK fait référence à trois trilemmes. Le trilemme de Mundell-Flemming, le trilemme de Rodrik et le trilemme de Pisany-Ferry. Chacun portant bien sûr le nom des économistes qui les ont formulés.

Comme quoi, ce n'était pas la peine de faire tant de bruit pour couvrir les propos de DSK. Même en se concentrant à fond pour bien comprendre tout ce qu'il dit, on a du mal à résumer. (Si vous vous croyez plus malin que moi, cliquez ici)

Trilemme, dilemme et compagnie

Ce n'est pas très agréable de ressentir aussi nettement ses limites intellectuelles. Pour un peu, on serait vexé. Du coup, au lieu d'admettre la supériorité de DSK, pourquoi ne pas lui reprocher son arrogance ? Ce serait plus confortable pour notre ego.

Sinon, pour le confort de la conscience, il y a un petit truc vicelard très efficace. Il suffit d'introduire la morale dans le débat économique. En morale, pas de trilemme, que des dilemmes. Il suffit de choisir entre deux objectifs, dont l'un est souhaitable (le bien), tandis que l'autre ne l'est pas (le mal). Quand on choisit le camp du bien, on est sûr de ne pas se tromper. Tout le monde a compris ?

Par delà le bien et le mal

La morale est un poison qui rend vicieux. C'est le pitch d'un bouquin de Nietzsche dont le titre est super connu : "Par delà le bien et le mal". Nietzsche est allemand comme Merkel, sauf qu'il est moins chiant et plus intelligent.

Si la crise a pris une telle ampleur, c'est parce qu'Angela a gardé sa mentalité de fonctionnaire d'Allemagne de l'Est. Avant de prendre la moindre décision, elle doit remplir trois formulaires. Mais pour dissimuler cette faiblesse, elle se pare de rigueur morale.

Les Grecs avaient beau se noyer sous ses yeux, elle rechignait à leur jeter la bouée. Comme la fourmi claque la porte au nez de la cigale, elle laissait les Grecs se noyer. Vous connaissez la fable : tandis que les Allemands se serraient la ceinture, que faisaient les Grecs ? En plus de danser le sirtaki, ils truquaient leur comptes. La morale en bandoulière, Angela gardait donc son blé.

Docteur SK

Lorsqu'il s'est exprimé le 18 septembre sur TF1, DSK a mis la morale de côté. On attendait des aveux, regrets, des excuses. Au lieu de ça, on a eu un diagnostic. Ce soir-là, Docteur Strauss-Kahn allait droit au but !. Le malade à soigner d'urgence, ce n'était pas lui, mais la Grèce : « On peut dire "les Grecs paieront tout seuls". Mais ils ne peuvent pas. Puisque nous sommes dans une Union, nous devons partager cela. Le problème c'est que pour ça, il faut accepter de "prendre sa perte". Il y a une perte, il faut la prendre. »

Dès le lendemain, François Fillon jugeait cette déclaration "irresponsable". Il est gentil Fillon, mais le méchant garçon avait raison. Un mois plus tard, un accord européen prévoyait l'effacement de la moitié de la dette grecque. Soit disant que DSK ne pense qu'au sexe, n'empêche, il voit plus loin que les autres. Il n'a pas besoin d'être au bord du gouffre pour comprendre, il anticipe.

Après la signature de cet accord européen, « Le Monde » publie un article qui souligne l'ironie de la situation. Pour sa défense, Matignon explique que DSK n'a pas tout à fait raison. Comme l'Union Européenne a tordu le bras aux créanciers privés, « le plan conclu dans la nuit du 26 au 27 octobre ne conduit pas à l'abandon de créances détenues par les Etats ».

The Brain

En fait, DSK a raison sur toute la ligne, mais ce n'est pas encore officiel. Cela dit, il suffit de lire les sites d'intelligence économique pour savoir que les États vont devoir prendre leurs pertes. Selon les spécialistes, ce n'est plus qu'une question de temps. L'an prochain peut-être, au plus tard en 2014.

Pour justifier l'invitation de DSK, l'Union des étudiants de Cambridge l'a présenté comme quelqu'un "d'exceptionnellement qualifié pour parler des sujets phares de l'actualité internationale de 2012, en particulier la crise financière mondiale et l'élection présidentielle française".

On est pas obligé d'être d'accord avec ces brillants étudiants. Rappelons simplement que Cambridge est cinquième au classement de Shanghai, ce qui lui confère le titre de meilleure université européenne. Est-ce que ça ne donne pas un certain crédit à l'opinion émise sur les compétences de DSK ?

Et la morale dans tour ça ?

Rassurez-vous, la morale vit entourée de gardiens qui la protègent. Lorsque DSK est passé sur TF1 en septembre, l'ancien ministre Dominique Bussereau est monté au créneau. Le lendemain soir, dans un meeting en Charentes Maritime, il s'est indigné à la tribune : « Vous avez tous regardé la télévision hier soir ? Claire Chazal était très belle… Mais j'ai trouvé cette absence d'excuse, cette arrogance indécentes! » Ce soir là, raconte "Le Figaro", Dominique Bussereau a même fait huer le nom de DSK par la salle. C'est vrai que ça tient chaud de détester tous ensemble la même personne.

Mais les militants UMP ne sont pas les seuls à hurler en choeur contre DSK. Dans le camp progressiste, on défend aussi la morale. À Cambridge, ce sont les féministes qui ont hurlé en choeur sur le passage de DSK. D'un point de vue judiciaire, l'accusé est présumé innocent. D'un point de vue moral, l'accusation et le jugement ne font qu'un.

La morale et l'économie sont deux domaines différents. Pour être un bon directeur du FMI, il n'est pas nécessaire d'être un gentil garçon. Et pour être un bon Président de la République ?