Christian Blachas, l’animateur qui ne nous prenait pas pour des cons

En allumant mon ordi ce matin, je tombe nez à nez avec Christian Blachas. L'œil qui brille, le sourire en coin, il est en Une sur la page d'accueil Yahoo! Belle photo pour un dernier hommage.

Qu'est-ce que c'était bien Culture Pub ! Voilà une émission qui nous a ouvert les yeux. Tous les dimanches soir sur M6, Blachas et son équipe nous expliquaient comment la pub nous « inflige des désirs qui nous affligent ». Une émission qui commente et analyse la publicité à la télévision, c'est rare. Dans les médias, toutes les insolences sont permises, à condition de ne pas mordre la main qui vous nourrit. Comme disait Patrick Le Lay « À la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre ses produits... »
Toutes les chaînes vendent du temps de cerveau disponible aux annonceurs. Les annonceurs sont donc des clients, et le client a toujours raison. Vu les fortunes qu'ils versent aux chaînes, ils sont en droit d'exiger qu'on ne dise pas de mal de leurs campagnes de pub.

Blachas et son équipe avaient trouvé le ton juste. Ils nous ont fait aimer la pub, ils nous ont permis de mieux la comprendre et toujours avec le sourire. Informer, éduquer et divertir. Voilà trois missions qui figurent au cahier des charges de France Télévisions. Culture Pub avait toutes les qualités d'une émission de service public. Malheureusement, comme le reconnaissait Blachas : « Cette émission ne serait pas possible sur une chaîne publique, car on ne peut pas citer de marques. Il faudrait donc flouter tous les produits. Or nous, si on peut obtenir autant de spots de pub du monde entier, c'est parce qu'on s'engage à diffuser la pub intégralement en citant explicitement la marque. Et c'est aussi un choix éditorial. »

Sur France Télévisions, la publicité est donc un sujet tabou. Difficile d'informer les téléspectateurs sur ce thème, puisqu'il est interdit d'en parler à l'antenne. C'est bien pratique. Sur M6, il n'y avait pas de tabou, juste un peu de censure. Blachas le reconnaissait d'ailleurs dans les interviews : « Il y a eu des tensions. La chaîne nous a avertis qu'on ne pourrait pas faire certains sujets, parce que c'était des gros annonceurs. »
Ce que j'aimais chez ce présentateur, c'est qu'il ne prenait pas le téléspectateur pour un débile. Il y en a tellement qui nous disent que la censure n'existe pas, tellement de journalistes qui ne subissent aucune pression, tellement d'interviewers qui n'ont aucun tabou... Au moins Christian Blachas était honnête.


Ça me rappelle son apparition dans le film « Pas vu, pas pris ». C'est un documentaire très marrant dans lequel Pierre Carles a piégé des journalistes vedettes de la télévision.
Il vient les interroger sur les rapports entre la télévision et la politique. Dans un premier temps, les journalistes interrogés affirment qu'il n'y a aucun tabou d'aucune sorte sur le sujet. Pierre Carles sort alors un petit magnétoscope portable pour leur diffuser une vidéo piratée sur un faisceau satellite. On y voit Etienne Mougeotte et François Léotard qui parlent médias et politique en se tutoyant juste avant le direct du journal de 20h.
À la vue de cette vidéo, on se dit (au minimum) que le directeur des programmes de TF1 et le ministre de la Défense sont bons copains. Ce qui est très amusant, c'est de voir la réaction des journalistes vedettes pris au piège. Personne ne veut diffuser ces images. Alain Duhamel estime qu'il s'agit d'un cas « marginalissime » de proximité entre un journaliste et un politique. Patrick de Carolis estime que ce genre de document n'intéresse pas le public. Anne Sinclair se trouble tellement qu'elle fait un lapsus : « La relation privée d'un homme politique avec un patron d'entreprise, fût-elle une entreprise de médias, ça fait partie de la vie publique… Euh, de la vie privée. »

Le seul qui s'en tire bien, c'est Christian Blachas. Faut dire que pour lui, c'est plus facile, puisqu'il ne présente pas d'émission politique. N'empêche, il ne cherche pas à noyer le poisson : « Je ne connais pas vraiment bien le sujet, je pense qu'il y a une espèce d'auto-censure... ça fait mal à tous les journalistes, quels qu'ils soient, de montrer à quel point ils peuvent entretenir des liens de complicité avec les hommes politiques. »
« Peut-être que les journalistes n'ont pas trop envie de dire officiellement au public ce qui se passe à l'intérieur de la cuisine. Parce qu'effectivement, on pourrait les taxer d'être complaisants. »

À l'époque, l'honnêteté de son propos m'avait frappé. Je m'étais dit qu'il faudrait plus de gars comme Christian Blachas dans ce métier. C'est pourquoi en apprenant sa disparition ce matin, j'avais envie de lui rendre hommage.